Le temps tombé du ciel : semaine 2 / La vie au temps du coronavirus / Photographe documentaire à Montréal

(comme ce confinement durera apparemment bien longtemps, je compilerai désormais une série de publications à chaque semaine)

21 mars

C’est samedi, il fait un temps radieux - bien qu’il fasse froid un froid mordant. Nous sortons pour la balade quotidienne à trottinette. Nous décidons d’aller te faire (re)découvrir le stationnement du Collège de Maisonneuve et se faire plaisir avec sa vue jusqu’au pont Jacques-Cartier. C’est aussi un prétexte pour aller regarder par la fenêtre de ton local de garderie, à laquelle on a facilement accès. Cette mise en abîme de nos monde est bien étrange.

Comme le temps est devenu très lent ces derniers jours, nous pouvons profiter de (presque) toutes les curiosités que nous croisons sur notre route. En haut de la côte, le long de la rue Sherbrooke, de grande flaques d’eau on gelé durant la nuit. La surface glacée est tantôt solide et opaque, tantôt fine et transparente, comme du verre. Nous nous amusons à fissurer, arracher et casser des morceaux (des milliers!) pendant une demi-heure.

En après-midi, tu ne veux pas dormir. Comme j’ai anticipé la fermeture des salons de coiffure et acheté des ciseaux pour raccourcir quelques mèches à la maison, tu me demandes de te couper les cheveux. Je ne suis pas coiffeuse, et tu n’es pas patient.

J’ai commencé par dégarnir ta nuque (que je n’avais littéralement pas vu depuis des mois). Puis, j’ai enchaîné avec un tentatif dégradé, en couches. Oh là là, qu’est-ce que j’ai fait… J’ai coupé si court, qu’il ne reste plus de trace de tes belles boucles blondes, mon petit lion!

Mais tu es si beau.

22 mars

Aujourd’hui, c’est l’anniversaire de ma mère. “Grand-Maman Ginette”, comme tu l’appelles.

Elle aurait eu 66 ans.

Comme souvent à cette date (toujours depuis que tu es né), j’ai facilement les yeux dans l’eau.

L’an dernier, nous avons commencé une petite tradition afin de souligner sa mémoire, la faire revivre un peu - nous qui manquions jusque là de rituels pour bien vivre cette absence : te célébrer avec gâteau et bougie.

Cette année, S. a même lancé l’idée de réaliser une photo de famille maison, pour Grand-Maman Ginette.

Tu étais intéressé par l’équipement de studio que nous avons installé ensemble dans ta chambre, mais tu n’avais vraiment pas envie de te faire prendre en photo…

M’aider à faire le gâteau, c’était plus dans tes cordes.

Bonne fête Maman! Tu nous manques.

23 mars

Avec ce confinement, et la météo peu clémente des derniers jours, on ne sait plus trop si c’est le printemps ou l’hiver. Le ciel très gris est bas, il vente et il fait froid. Notre balade matinale est moins agréable qu’à l’habitude.

Les modules de jeux de ton parc sont condamnés. J’ai les bleues, mais tu t’amuses franchement sur ta trottinette. Tes joues n’ont pas été aussi rouges depuis longtemps. Mes yeux fixent les silhouettes, les textures et les détails que nous croisons en chemin.

À la maison, Papa prend une pause pour concocter avec nous de nouveaux arcs-en-ciel à coller dans les fenêtres. Tu lui fais remarquer qu’il n’a pas mis les couleurs dans le bon ordre! Craignant qu’il ne gâche son oeuvre, tu lui expliques aussi comment bien couper le blanc autour. Ce sont maintenant quatre arcs-en-ciels qui crient #cavabienaller du 2e étage de notre triplex.

Comme il n’est jamais trop tôt pour une initiation à la citoyenneté exemplaire, et que le travail suit ton père même durant nos repas, tu regardes un extrait du conseil municipal à table.

Le soir quand tu dors enfin, c’est toute la ville qui semble endormie aussi, sous sa lourde couverture blanche.

24 mars

Au réveil, tu as tout de suite demandé d’aller faire un bonhomme de neige.

Va savoir pourquoi (en fait je sais très bien pourquoi : tu as trois ans!), quand est venu le temps d’enlever ton pyjama, tu as refusé de t’habiller. À vrai dire, tu as accepté l’idée de Papa : t’habiller pour aller jouer dans l’eau!

Comme la neige fondait à vu d’oeil, j’ai réussi à te convaincre de sortir sans trop attendre. Ensemble, nous avons façonné “Cannelle 2”, comme tu l’as baptisée. Tu lui a délicatement mis des roches dans le front et des boules de neige en guise de cheveux. Le temps était tranquille et il faisait chaud dans nos mitaines.

De retour à la maison, tu as adorablement joué du carillon “pour encourager Papa” - et je crois que ça a fonctionné.

L’appel du soleil étant si fort, nous avons dessiné sur le balcon, avant de retourner marcher à la recherche des nouveaux arcs-en-ciels du coin. Nous nous sommes retrouvés à nous balader dans le no-man’s land de stationnement d’à côté, et tu a adopté une branche.

Et moi, j’ai admiré la beauté de ta vie.

25 mars

Matin sans trop d’histoire. Nous mettons le cap sur le nord, passant par une rue voisine que nous n’empruntons jamais. À la vue du Stade, tu décides : “Je veux aller là!”. Là, ça veut dire l’esplanade, ce vaste paysage bétonné parfait pour trottiner. Nous y observons les employés de Bixi sortir les stations de leur cachette sous-terraine et sourions aux coureurs.

Nous passons près de chez une amie et nous parlons de part et d’autre de la clôture pendant 15 minutes. Comme ça fait du bien!

Au retour, la fresque de l’église Saint-Jean-Baptiste-de-Lasalle nous rappelle les temps anciens où les humains pouvaient se rassembler.

26 mars

Le banal de nos vies de confinement est moche et beau.

Aujourd’hui, j’ai voulu me souvenir de ce que c’est de regarder la ville avec toi, en te montrant tous les détails qui attirent mon attention alors que tu es affairé à manger ta collation dans la poussette. Nous avons (encore) compté les arcs-en-ciel jusqu’à l’écoeurement : 41. Je t’avais dit qu’on allait voir des trains, mais nous avons dû nous contenter d’apercevoir quelques bouts de rails et de très gros camions chez Lallemand. Ça en valait quand même la peine, de marcher jusqu’au fin fond du quartier.

À la maison, le rythme était lent. Papa s’est reposé à tes côtés pendant que tu jouais tranquillement avec tes blocs.

Puis, la voisine est venue nous porter un beau cadeau : un immense paquet de fleurs magnifiques récupérées chez un fleuriste qui devait se débarrasser de tout son inventaire après avoir dû fermer son commerce. Comme on n’a pas l’habitude d’acheter des fleurs, j’ai accepté puis saisi les tiges du bout des doigts. Tu m’as aidé à laver notre bouquet à l’eau savonneuse dans le bain. C’était notre manière d’honorer cette beauté importée du bout du monde.

27 mars

Ce matin, j'ai rendu visite à des amis dans le quartier avec ma caméra.

Dans les règles de l'art de la distanciation sociale, je suis restée à distance règlementaire - puisque j'ai sorti mon zoom de photo événementielle pour l'occasion!

*

N. est justement venu me rejoindre chez sa grande amie A., qu’il n’avait pas vue depuis des semaines et que j’étais en train de photographier.

Durant le “repos”, il ne pouvait s’empêcher de venir voir ce que je faisais dans le bureau (retoucher les photos de gens qu’il connaît!).

À la maison, nous avons rempli un bac d’eau pour nettoyer quelques jouets et expérimenter avec quelques pailles d’une boîte que nous avons depuis des années et qu’il faudra bien finir un jour. N. appelle ça une mission!