Le temps tombé du ciel : semaine 1 / La vie au temps du coronavirus / Photographe documentaire à Montréal

Je suis plutôt tranquille depuis le début de cette tempête COVID-19.

À la maison, nous vivons depuis le 13 mars un confinement strict mais optimiste, généreux. 

Je profite de tout ce temps "tombé du ciel" avec mon fils, bien que j'aie du mal à faire avancer les projets qu'il me reste à livrer puisque je passe presque chaque minute de la journée avec lui. Ces moments en sa compagnie me gardent loin du vertige de tous ces contrats incertains ou carrément perdus pour les mois à venir. 

Nos repères changent et plus que jamais, je crois que la photo s'impose pour garder des souvenirs du vécu, de ce qui nous unit, de ce chapitre de nos vies. J'ai si hâte de documenter les vôtres à nouveau!

Dans les jours à venir, je partagerai ici des fragments de notre confinement, pour faire rayonner la beauté de cette fin d'hiver.

#restezchezvous #covid19 #confinement #staythefuckhome

Pour N.

13 mars

Nous ne le savons pas encore, mais la garderie va fermer ses portes dans quelques heures. Et nos vies vont beaucoup changer soudainement.

Pour combien de temps?

Personne ne pourra le dire avant longtemps

14 mars

Aujourd’hui, tu tousses beaucoup. Tu fais un peu de fièvre, et ton souffle est court. Nous sommes maintenant en quarantaine avec toi.

En après-midi, j’ai besoin de temps pour moi, troublée par les nouvelles et l’air du temps, anxieuse.

Je plonge dans un livre de portraits de Henri Cartier-Bresson pour me changer les idées. Tu viens me rejoindre.

Nous regardons avec intérêt les visages de philosophes et d’auteurs, des ateliers d’artistes, des portraits d’amis, d’autres anonymes… Puis nous tombons sur ce portrait de Carson McCullers, datant de 1946. Je me dirige vers la bibliothèque et sors un roman d’elle (The Heart is a Lonely Hunter), pour te montrer ces mots écrits il y a 70 ans maintenant, pour te dire “C’est elle!”.

Intéressé, tu délaisses mon beau livre de portraits pour feuilleter les pages, avec attention : “Je veux regarder les mots”.

15 mars

Au réveil, tu veux tout de suite jouer aux blocs Lego.

Papa et toi, en pyjama.

C’est dimanche.

16 mars

C’est lundi, premier jour de nos nouvelles vies de semaine en quarantaine. Tu vas un peu mieux, mais tu es fatigué.

Durant ton repos, tu te mets à la conception d’un petit projet de Lego - encore. Je t’invite à terminer sur la table, pour mieux travailler.

Tu es concentré, appliqué. Tes petits doigts sont devenus si agiles!

Je ne t’ai presque pas aidé :)

17 mars

Aujourd’hui, nous avons eu de la visite : un épervier brun est venu se poser sur un fil derrière chez nous.

Nous avons pu l’observer pendant une bonne demi-heure!

18 mars

Tu vas franchement mieux aujourd’hui!

On sort faire une grande balade dans le quartier, qui est désert. On observe un chantier pendant 10 minutes, on regarde à travers les vitrines des magasins fermés, on admire la pousse hâtive des hostas et autres tulipes enthousiastes. On marche sur la Lune derrière le marché Maisonneuve.

À la maison, tu es colleux et veux toujours me dire “Je t’aime”.

Pour faire changement, on soupe dans le salon. Et c’est toi qui mets la table.

19 mars

Nous vivons une renaissance aujourd’hui : nous avons sorti la trottinette!!!

Ça ne se perd pas, comme le vélo. Tu t’élances, encore plus rapide et solide que l’automne dernier. Si tu ne portais pas de tuque, tu aurais les cheveux au vent.

Je cours pour te suivre. Tout ce mouvement nous fait du bien à tous les deux.

Pour dîner, on mange une bonne soupe - que tu fais refroidir avec une glace, un classique. Juste avant de se mettre à table, je t’ai marqué de mon amour de maman avec ce qui me restait du rouge-à lèvre mis ce matin avec toi (le tien es déjà parti, tu l’as tout liché).

Lors de notre deuxième sortie quotidienne, nous constatons que la distanciation sociale ne date pas d’hier! Nous admirons les premiers arcs-en-ciel qui ont fait leur apparition dans le quartier.

#cavabienaller

20 mars

Ce matin, il pleut et il fait gris, très gris. Tellement gris qu’il faut allumer la lumière de la cuisine.

Je ne sais pas si c’est le temps ou la fatigue (je me couche tard puisque je travaille jusqu’au début de la nuit), mais la réalité me happe soudainement : tu ne joueras pas avec un autre enfant avant très longtemps! Ressentiras-tu l’ennui? Le manque? Les rigolades, le chamaillage, les cachettes, les élans d’affection démesurés seront autant de sensations à redécouvrir quand nous serons “libres”.

Je pense à mes amis et à ma famille que nous ne verrons pas de sitôt, et j’ai le coeur gros.

On dirait que tu sens mon besoin de me changer les idées. Tu sors une vieille pomme du frigo et demande à faire de la compote : quelle bonne idée! Tu m’aides à couper les morceaux avec ton couteau en bois. En quelques minutes, c’est cuit broyé et dégusté.

Ensuite, nous nous affairons à préparer NOTRE arc-en-ciel. Je trace la première ligne pour te montrer la forme. Nous choisissons les couleur ensemble et tu jette un coup d’oeil à un exemple sur un livre pour continuer à ta manière.

Tu es si fier de mettre ton oeuvre dans la fenêtre! Vu de l’intérieur, on voit le dessin que tu avais déjà fait au verso : “Un bonhomme sourire avec plein de yeux et plein de bouches”.

#cavabienaller