28 mars
Samedi, jour de provisions.
C’est S. qui est en charge de la tournée de l’épicerie. Seul lui est assez fort pour porter sur ses épaules le nécessaire à tenir pour les sept prochains jours - moi, j’utilise normalement la poussette pour transporter les grosses épiceries avec toi, ou divise le tout en plusieurs sorties : exactement ce que nous voulons éviter dans les circonstances actuelles.
Tu demandes à sortir en trottinette. Tu veux passer par la piste cyclable de la rue Desjardins. En haut, tu demandes à aller sur l’Esplanade du Stade.
C’est le jour de la marmotte.
En haut, finalement, c’est un peu différent. On prend le temps de regarder les employés de Bixi sortir les stations, morceaux par morceaux, du stationnement intérieur où elles ont passé l’hiver. Nous sommes fascinés par ces deux petits chariots élévateurs qui semblent sortir du minerai précieux des entrailles de la terre.
Plus loin, nous découvrons le skatepark. Les avertissements “Danger de chute” me permettent de t’expliquer tant bien que mal la fonction de pareille installation un peu abstraite hors contexte.
Tu veux faire le tour du grand édifice blanc “en bas”. Nous sommes alors à même d’admirer son architecture, ses contours, sa masse, ses détails. Tu es bien d’accord que tout près, on se sent tout petit. Les gouttières géantes t’impressionnent. Les avertissements de baignade interdite te subjuguent.
Ce matin, finalement, nous en avons vraiment eu plein les yeux.
29 mars
Les prévision météo annonçaient de la grosse pluie aujourd’hui. On s’est motivés à sortir tôt pour aller jouer dehors en famille avant que les averses nous tombent dessus - et nous confinent réellement à l’intérieur. Comme de fait, aussitôt que tu as enfilé ton imperméable et qu’on t’a sorti sur le balcon, les gouttes se sont pointées.
On est sortis quand même, avec nos parapluies - et sans ma caméra, ça fait du bien parfois.
Quelque chose en moi trouvait qu’il faisait belge.
On a marché dans la bouette et on s’est lancé le ballon au parc Lalancette.
Ton rire se foutait du temps et du confinement.
On était bien.
30 mars
Tu veux monter en haut de la côte. Je pose ta trottinette sur mon épaule et nous admirons les nouveaux arcs-en-ciel en chemin. Il se met à pleuvoir, mais j’ai le parapluie pour me protéger pendant que tu profites de la vie.
Pardon, pendant qu’on profite de la vie.
31 mars
La neige est presque toute fondue dans la ruelle et aujourd’hui, la trottinette est restée dans la maison.
Nous avons sorti les craies et dessiné un fond marin rigolo : un poisson-clown (avec le nez rouge pis toute), un calmar, une citation de Passe-Montagne (“Babette la baleine fait de bien belles bulles”), une étoile de mer, un poisson-clou (cousin du clown, mais en presque moins drôle), des anémones échevelées et un cygne portant un chapeau haut-le-forme.
Sur ton dessin comme dans la ruelle, le soleil brillait.
Par ce bel après-midi, grand-maman Marie-Paule est partie dans le ciel.
Penses-tu que nous aussi, on va vivre jusqu’à 101 ans?
1er avril
On a eu de la visite aujourd’hui!
Et ce n’est pas un poisson d’avril.
Pour contrer la force d’attraction qui pourrait nous faire échouer au test du 2 mètres, nous sommes sagement restés sur notre balcon du 2e étage, pour jaser avec les amis restés sur le trottoir. Nous les avons même regardés jouer - et encouragés dans leurs efforts. Quelle situation atypique, qu’il nous fera plaisir de raconter quand les garçons seront grands. Un bonheur confiné partagé.
Puis, question d’éviter de croiser les amis dans la rue (!), nous avons commencé notre propre balade en sortant par derrière, dans la ruelle. Ton nouveau ballon t’apporte tellement de joie! Tu t’es exercé à le lancer, le botter, le faire rouler. Nous avons découvert que notre ruelle pentue est en fait composée de plusieurs paliers. Il y a même un tronçon où le ballon est remonté à reculons! On se serait presque crus à la côte magnétique!
Ensuite, comme souvent depuis le début du confinement, nous sommes allés à “ton” parc. La plaine de jeu est un vaste espace où nous sommes certains de rester loin des autres naturellement, sans éveiller en nous de sentiment de suspicion. Nous y observons les éléments du décor changer d’une fois à l’autre.
Aujourd’hui, nous y sommes tombés sur un témoignage bien de notre temps. En face du CHSLD Nicolet, sur un rideau rouge fixé à ce qu’il reste de la bande de la glace de hockey, était peint en grandes lettres un message bouleversant, d’un grand enfant à sa maman et à ses “anges”.
Je t’ai expliqué, puis nous l’avons admiré battre au grand vent - et moi j’avais le coeur battant.
2 avril
Les jours où il pleut, on n’est pas pressés de sortir. On reste longtemps en pyjama dans la maison, comme si c’était la fin de semaine.
À vrai dire, les jours de pluie, on ne sait plus quel jour on est.
Ces jours-ci, tu es obsédé par les trains : tu sors régulièrement ton circuit en bois, et tu demandes à regarder des vidéos de trains (tu aimes principalement ceux où on voit les trains les plus rapides au monde, ou des circuits de train électrique montés par des geek qui diffusent leurs exploits).
Malgré la pluie, nous sommes sortis faire un petit tour près de la maison. Nous avons mangé notre collation sur le parvis de l’église Saint-Jean-Baptiste-de-Lasalle, puis avons exploré les environs.
La journée paraissait longue, et tu voulais bouger. Je t’ai parlé de ce jeu de corridor tout simple et si amusant auquel je jouais avec ma soeur dans le bungalow de notre enfance : faire rouler une balle d’une personne à l’autre, en bloquant le passage avec nos jambes. La balle rebondissante que nous avons redécouverte dans un fond de tiroir était parfaite pour ce jeu, puisqu’elle roulait vite et respectait la trajectoire qu’on lui donnait. Attention à ne pas la faire rebondir, pour ne pas déranger les voisins! Un franc succès.
Nous avons fini l’après-midi, à peinturer par terre en-dessous de la table.
3 avril
- "Mes doigts sont dehors!"
- "Qu'est-ce que tu aimes quand on ouvre la fenêtre comme ça?"
- "J'aime ça voir dehors, entendre des bruits, puis sentir, avec mon odorat."