2 mai
Enfin, il a fait chaud aujourd'hui. Nous sommes sortis te faire courir au parc, puis avons enchaîné avec une course de grands (toi dans ton bolide de course : la poussette!) et accessoirement saluer des amis à l'autre bout de Maisonneuve – à 2m de distance s'il vous plait.
Nous avons ensuite fait une tournée du centre-ville en voiture pour prendre le pouls des artères commerciales et des parcs, question d’observer comment se vivait la distanciation sociale un beau jour de fin de semaine. Tu as été bien patient et as apprécié admirer les gratte-ciels et les maisons victoriennes avec nous. Il faut dire que maintenant, tu es assez grand pour regarder dehors et descendre ta fenêtre toi-même.
3 mai
Comme il faisait (encore) beau ce matin, ton père en a profité pour t'initier à la pétanque au parc Lalancette. Mais toi, tu préférais faire rouler les boules dans la descente pour handicapés du pavillon des sports.
En après-midi, nous avons donné un peu d'amour – et d'eau - à notre carré d'arbre, où nous avons osé planté quelques rhizomes de houblon. Après avoir fini le travail, nous avons trouvé un petit coin sur le balcon à côté de ton vélo (que tu ne veux jamais utiliser) pour faire l'apéro sans manteau. Tu aimes tant les olives... que tes petites dents « épluchent » délicatement, les Kalamata autant que les vertes reines. Ton eau-pétillante-jus-de-citron-sirop-de-grenadine accompagne chacun de nos toasts. Peut-être est-ce ce qui nous garde en santé?
Il s'est mis à tomber quelques gouttes, alors nous sommes rentrés jouer. Quand le ciel a laissé passer quelques brillants éclats de soleil, j'ai tout de suite pensé qu'un arc-en-ciel devait se dessiner quelque part. Il était bien là, tracé parfaitement d'est en ouest, de part et d'autre de la maison.
« C'est la première fois que je vois ça, un arc-en-ciel! »
4 mai
Depuis quelques jours, tu demandes à aller au parc Morgan. C'est vraiment étrange, puisque nous n'avons pas mentionné son existence depuis des mois. Un beau jour que nous étions au marché Maisonneuve, tu l'as aperçu par-delà la fontaine, puis sa mémoire t'es revenue.
Aujourd'hui donc, nous avons fait une grande balade en trottinette jusqu'au beau parc Morgan. Pour faire changement, j'ai laissé la caméra à la maison. Le temps gris avait certainement donné envie aux familles de rester à la maison, car il n'y avait personne. C'est tellement étrange, un parc sans enfant... On sentait davantage la proximité avec le port, d'où on voyait promener les conteneurs sous les grues. Et tu avais la rigole sèche à dévaler, pour toi tout seul.
Durant le repos, je suis allée faire les courses pour la semaine. Pendant mon absence, tu as fait un bricolage pour ton père qui travaillait – glissé sous la porte du salon. À mon retour, avec les retailles, tu as spontanément bricolé un avion. En le coloriant, tu t'es mis à tracer avec soin des lignes de couleurs différentes les unes à côté des autres, sur une aile :
- « Qu'est-ce que tu dessines? »
- « C'est le drapeau de l'Italie »
Pourquoi l'Italie? À cause de ton livre Martine en avion, qui suit la petite dans son périple jusqu'à cette exotique destination.
Plus tard, quand ton père a terminé sa journée de travail, il est ressorti du salon avec entre les mains le bricolage que tu lui avais fait – et dans les yeux, un air ébahi :
- « Qu'est-ce que tu as écrit ici, N.? »
- « Mon nom! »
Alors c'est comme ça qu'un beau jour de mai, tu as écris ton nom tout seul pour la première fois, sans aide! Bon d'accord, il manque quelques lettres, mais à nos yeux c'est fabuleux. Ce qu’on est fiers de toi… C'est comme ça, les parents.
Puis, pour continuer avec les couleurs et les lettres, on a mis de la craie et de la joie sur le trottoir près de notre carré d'arbre, pour faire sourire les passants derrière leurs masques.
5 mai
Comme tu poses toutes sortes de questions à notre bricoleuse proprio, qui est toujours en train de construire ou réparer quelque chose autour de l'immeuble, celle-ci a eu l'idée la plus adorable qui soit.
Sans l'annoncer, elle est venue te porter un cadeau : un coffre à outils! TON premier coffre à outils – qui était en fait le sien aussi, reçu lorsqu'elle était petite, puis garni de quelques outils en guise de trousseau. Ça fait beaucoup de première mémorables dans la même semaine...
6 mai
Je sais qu'on est un peu en retard, mais comme j'ai toujours envie de faire des activités éducatives avec toi – mais prends très peu le temps d'organiser les choses – nous avons enfin planté quelques graines pour faire des semis. De poivrons – ou « provrons », comme tu dis. À partir de poivrons achetés à l'épicerie – et mangés. Tu n'avais finalement pas tellement envie de m'aider dans ce projet, que j'ai pas mal réalisé toute seule. Tu as collé les collants pour identifier les pots selon la couleur des légumes : orange, rouge et jaune. C'est déjà ça!
Durant notre balade matinale, nous nous sommes arrêtés pour observer l'état de décomposition du petit œuf turquoise aperçu dans une ruelle il y a quelques semaines. Tu m'as alors demandé à prendre ma caméra. J'ai hésité, puisque pour une rare fois, j'étais sortie avec mon boîtier professionnel... Puis je t'ai fait confiance.
J'ai bien fait, puisque tu as réalisé des portraits très réussis de moi – je trouve! (« J’ai pris plein de photos de Maman… Youpi, j’suis content! ») Malgré le côté un peu aléatoire de tes cadrages - puisque tu avais du mal à enligner ton œil dans le viseur - ces quelques photos sont absolument fidèles au moment. On y voit une maman face à son grand garçon, aimante, fatiguée, amusée. À l'image de nos journées de confinement.
Au bout de la ruelle, les fleurs de magnolia continuaient tranquillement de s'ouvrir.
En après-midi, question de pouvoir travailler un peu, je t'ai installé à mes côtés, sur le vieux coffre dans l'entrée. Tu y a dessiné « La ferme-champ », une œuvre abracadabrante mettant en scène un fermier et sa ferme dans lequel brûle un feu de foyer, avec au grenier un clapier. Le tout au-dessus d'un champ où se côtoient maïs, terre, gazon et carottes.
Quand as-tu étudié les perspectives de Picasso?
7 mai
Des photos prises aujourd’hui, se révèlent des cloisons et frontières, visibles et invisibles, qui peuplent notre environnement et notre mode de vie actuels.
Au parc, après notre jeu de ballon de part et d'autre d'une clôture, tu as voulu aller jouer dans les estrades. Malheureusement, il a fallu attendre qu'elles se “libèrent” pour ne (SURTOUT) pas s'approcher des autres enfants qui s’y amusaient déjà.
Plus tard en après-midi, en mangeant ta collation sur le balcon arrière, tu regardais des voisins plus vieux jouer au tennis dans la ruelle, intrigué et envieux. Quand dans le feu de l'action ils s'approchaient, tu criais « 2 mètres! ».
8 mai
Aujourd'hui près de la fontaine du marché Maisonneuve, nous avons retrouvé Ellie, une copine de ton ancienne garderie avec qui nous n'avions pas gardé contact. Tu ne l'avais pas revue depuis la fin de l'été dernier, et tu ne semblais pas trop t'en rappeler...
Elle, ne t'avait pas oublié : elle était si contente qu'elle te pourchassait avec son vélo. Saisi d'une grande timidité à la rencontre de tant d'enthousiasme, tu as dû trouver du réconfort dans mes bras pour te ressaisir. Un instant plus tard, tu la pourchassais en retour en criant son nom, tout sourire. Ah, les émotions!
Comme autrefois, sa maman et moi vous confondions : vous vous ressembliez avec vos belles bouclettes blondes, vous vous ressemblez à nouveau avec vos casques à pois.
(Ai-je vraiment besoin de souligner qu'il neigeait encore, en cette deuxième semaine de mai?)