Le temps tombé du ciel : semaine 7 / La vie au temps du coronavirus / Photographe documentaire à Montréal

25 avril

Pour faire spécial (et efficace) aujourd'hui, nous avons fait l'épicerie pour la semaine avec la voiture que nous avions emprunté pour aller au centre-ville en urgence mercredi. Tant qu'à être en déplacement, nous en avons profité pour aller prendre l'air du large et saluer des amis du Far West (du fond de leur cour). 

Au retour, nous avons traversé le fleuve en empruntant les deux ponts entre là-bas et chez-nous : quelles magnifiques perspectives sur la ville et sur nos vies confinées!

Secrètement, nous avons essayé de te faire faire une sieste - en vain. Tu étais trop content de voir tout ça toi aussi.

26 avril

Aujourd’hui, je ne me sentais pas très bien. On a fait beaucoup de ménage dans la maison, et je me suis complètement coincé le dos en nettoyant le plancher. Ton père et toi rattrapiez le temps perdu pendant que moi je me reposais.

Mine de rien, je n’ai pas touché à ma caméra de la journée (une première en près de 50 jours de confinement). Ton père avait donc la voie libre pour utiliser la sienne - il a justement fini un film, que nous avons bien hâte de faire développer quand le labo rouvrira.

27 avril

Ce matin durant notre marche, nous avons admiré le rose des boutons de fleurs de magnolia, le turquoise d'un œuf tombé du nid et le jaune des nouveaux pissenlits hochelagais.

À notre retour, une belle surprise t'attendait dans la boîte aux lettres! C'était une réponse d'amis à qui tu avais envoyé un beau dessin la semaine dernière. Vous entretenez une vraie correspondance!

En prime, les amis avaient joint à leur lettre, une belle feuille de collants tous droits sortis d'une autre époque – un jour, tu sauras qui sont ces étranges personnages rigolos à la peau jaune. Tu as tout de suite décidé d'en coller un grand nombre :

- "J'suis vraiment content que c'est à moi. Je partage avec les autres. (...) T'en as beaucoup toi, c'est pour dire que t'es une princesse, Maman."

#petitbonheur

En soirée, nous avons célébré à distance la fête de ta tante. Quel moment heureux et crève-coeur tout à la fois... Nous nous souviendrons longtemps de ces quarante chandelles que nous aurions tant aimé souffler avec elle.

28 avril

Le ciel était si beau ce matin. Il était d'un bleu profond, et de fins nuages semblaient avoir été dessinés par légers coups de pinceau. Ces derniers temps, tu as beaucoup envie de rester dans ton parc. Tu as découvert un nouveau potentiel à la butte du terrain de balle : la dévaler assis sur ta trottinette.

Comme c'est la première saison des pissenlits, tu as toujours envie d'en cueillir, « pour les donner à Papa ». Bien que ces fleurs ne s'y prêtent pas vraiment, je t'ai tout de même recommandé de les mettre dans l'eau pour qu'elles se conservent jusqu'à ce que Papa ait fini de travailler. Pour m'assurer que tu ne les immerges pas au complet, je t'ai précisé de ne mettre que la tige dans l'eau.

Pendant que j’étais occupée à autre chose, et bien, tu as pris ces instructions au pied de la lettre...

« Et voilà! »

La pureté de ta joie a vite fait de chasser ma stupéfaction. Rarement ai-je ressenti un attendrissement aussi fort pour toi. Des fois comme ça, malgré toute la maturité dont tu fais preuve pour ton âge, j'ai une démonstration fulgurante que tu n'es encore qu'un enfant.

Un enfant qui plus tard a rempli sa mission d'aider au lavage de fenêtres avec beaucoup de motivation. Un signe qu'enfin, le printemps est arrivé - et que tu es quand même un peu un grand, maintenant.

29 avril

Ce printemps, les parents bien spontanés que nous sommes ont été un peu pris de court de constater que tu grandissais plus vite que les vêtements que les gentils voisins mettaient à notre disposition. Surtout en ce qui concerne les souliers.

Tes pieds sont tellement longs... On chausse grand, dans nos familles, et ta génétique nous rappelle quotidiennement les attributs des uns et des autres dans ton arbre généalogique.

Ce matin, je t'ai donc fait choisir entre deux modèles de bons souliers repérés sur internet (des 12, la taille juste avant les tailles de grands!). Comme l'achat en ligne est très peu notre genre, j'ai réussi à trouvé une boutique rosemontoise qui permettait la cueillette quasi immédiate.

Pour passer le temps avant ce moment tant attendu, nous sommes allés jouer dans le carré de sable du parc - de manière totalement assumée. Pendant que tu jouais, tu y as attrapé une coccinelle pour la première fois. Ce moment fut trop bref pour l'attraper sur caméra, mais tu m'as raconté comment tu as aimé la faire marcher d'un doigt à l'autre, sentir ses petites pattes se serrer sur ta peau, avant qu'elle ne s'envole.

En après-midi, tu t'es rapidement affairé à casser, salir et grafigner tes souliers neufs. Tu as vite fait la démonstration qu'ils peuvent tout faire : marcher, courir, sauter, grimper. Tout, sauf sauter dans l'eau.

Prochains mission : te trouver de nouvelles bottes de pluie.

30 avril

Il pleuvait beaucoup ce matin. Ce genre de matin qui donne envie de rester au lit. Une chance que tu avais une motivation pour sortir : aller marcher sous la pluie avec ton nouveau parapluie - acheté en même temps que tes souliers. (Depuis le temps que tu en voulais un!) Tu ne connais pas encore les Vikings, mais ce choix de motif permettait d'éviter les envahissants clichés des dinosaures et des camions – ainsi que des princesses.

Aussitôt dehors, un camion de pompiers est passé en trombe sur la rue Hochelaga, direction est. Nous avons l'habitude d'être à l'affût quand on entend raisonner les sirènes des camions de la caserne voisine, mais cette fois-ci, les sirène se sont mises à hurler de tous les côtés. Pendant qu'on se faisait mouiller sur la tête, c'est une dizaine de véhicules d'urgence de différents quartiers qui sont passés à vive allure près de nous : camion pompe, camion échelle, voiture de pompier, poste de commandement, unité de ravitaillement en air respirable, autobus d'aide aux sinistrés... une vraie vitrine pour les services su SIM!

Nous avons cherché à nous approcher du site de l'alerte visible à l'horizon, mais malgré ton enthousiasme, nous marchions tellement lentement que les renforts reprenaient déjà la route du retour vers leur caserne du Plateau, de Ville-Marie et de Rosemont. Nous avons donc eu le spectacle en double. Et nous ne saurons jamais ce qu'il s'était passé – ou pas – pour faire sortir tout ce monde-là.

Il y a de ces cris à l'aide qui commandent une réaction vraiment efficace, impressionnante – et d'autres moins.

Toujours est-il que le ton était donné : tu allais parler de véhicules d'urgence toute la journée!

Comme tu avais vu dans un livre comment faire un avion en papier, mais ne savais pas comment le réaliser toi-même, ton père t'en a fait une. Tu as vite demandé de lui faire écrire « police » et « SPVM » dessus : « C'est un avion de police de la ville de Montréal! ». Puis, tu lui a dessiné de grands gyrophares rouge et bleu sur le toit. Tu as ensuite voulu que je t'en prépare une deuxième : « Ça c'est un avion de police banalisé! ».

Le lendemain, le délire continuera de plus belle, avec la réalisation de deux avions de pompier avec sur le toit, respectivement : une échelle et un boyau d'arrosage. J'ai beau les voir sur le plancher tous les jours, je n'en reviens toujours pas!

1er mai

Hier était une journée vraiment riche en anecdotes – comprendre : en détails dont je souhaite conserver le souvenir. S'ajoutaient à ceux précédemment décrits, la réception d'un cadeau : un colis renfermant une belle carte dessinée par ta cousine, des dessins à colorier de trains et de camion de pompier, et … une bouteille de bulles! Ce matin, c'est donc avec enthousiasme que nous nous sommes tour à tour exercés à souffler et à faire éclater de belles bulles géantes.

Plus tard dans la journée, ton père me faisait remarquer une nouveauté incontournable de ton développement, mais que je n'avais pas encore pris le temps d'identifier aussi clairement : le début de la phase du « pourquoi » :

« Pourquoi faut se brosser les dents? »

« Pourquoi c'est le repos? »

« Pourquoi c'est la nuit? »

« Pourquoi tu m'aimes? »

“Pourquoi tu travailles debout?”