Le temps tombé du ciel : semaine 12 / La vie au temps du coronavirus / Photographe documentaire à Montréal

30 mai

E., notre proprio, a les meilleures idées. Voilà qu’elle t'a fabriqué un M. Gazon avec un vieux bas-nylon, un peu de terre, des graines de gazon et des boutons. Depuis le 5e jour d'arrosage, les brins d'herbe poussent. Aujourd'hui, tu as décidé que c'était le temps d'une coupe pour M. Gaga (le surnom que tu lui donnes)!

Hors-photo, sache que c'est la véritable renaissance dans nos moyens de transport : nous avons maintenant un dispositif qui nous permet d'attacher ton vélo derrière le nôtre, et nous balader en tandem!

31 mai

« Maman, est-ce que tu peux me prendre en photo? Avec, tu sais, tes deux caméras? »

Je t'avais dit que je te montrerais comment je travaille maintenant, avec mes deux boîtiers sur moi, attachés à mon harnais de cuir. Tu avais attendu patiemment que je revienne de ma séance pour me demander.

C'est si rare que tu veuilles te faire photographier comme ça... Que tu aies envie que je te regarde de près dans les yeux, à travers mon objectif. Que je puisse utiliser mes stratagèmes de portraits d'enfant, qui révèlent les richesses des profondeurs et les yeux pétillants.

Toi, qui sembles avoir pris 5 ans d'âge, de corps et de cœur, ces dernières semaines.

Toi, dont la beauté me bouleverse chaque jour.

1er juin

Depuis deux jours déjà, une étrange visiteuse attire l'attention à Montréal : une baleine à bosses s'est égarée et a remonté le courant jusqu'ici. Déjà au courant de la semaine, son passage sous le pont de Québec, puis en amont vers Trois-Rivières, puis Sorel, avait fait jaser. Voilà qu'elle a élu domicile entre l'île Sainte-Hélène et le Vieux-Port, traversant parfois sous le pont Jacques-Cartier vers l'est. Le jour, elle barbotte tranquillement, alors qu'en fin de journée, elle se donne en spectacle en démontrant ses talents de sauteuse. Gracieux dix-roues dans le courant. Elle semble beaucoup s'amuser, mais tous ici se demande quand – et si- elle retournera chez elle un jour.

Nous sommes allés à vélo. Après avoir réussi de peine et de misère à traverser la rue Notre-Dame de nouveau bien fréquentée par les camions de livraison long-cour et autres navetteurs pressés, nous avons atteint le parc Bellerive. Il était un peu avant 10h, et déjà quelques curieux s'étaient installés le long des clôtures qui longe le port pour surveiller des signes de la baleine. Notre informatrice, membre de l'escouade nautique du SPVM en charge de veiller à la distanciation des embarcations d'avec le cétacé, nous avait informé qu'elle se trouvait dans le coin de Frontenac.

Elle avait raison : tout de suite après être arrivés, nous avons vu son souffle, son dos, sa queue. Une baleine devant nos yeux!

Ton intérêt pour le cétacé fût de courte durée, fasciné que tu étais pas les trains du port : « Je préfère regarder les trains, moi! »

2 juin

Aujourd'hui, nous avons appris que tu avais une place à la garderie à partir du 15 juin. Comme j'ai déjà repris le travail, et que je commence à être très fatiguée de ce marathon de soins quotidiens, nous avons accepté. Tu pourras retrouver tes amis! Et quand je te pose la question « as-tu hâte de retourner à la garderie? », tu me réponds un grand « OUI » tout enthousiaste. (j'ai déjà vérifié deux fois, bien neutre et sans réponse induite).

Entendu aujourd'hui : «  Pour aller sur la Lune, on va prendre nos vélos volants. »

3 juin

Depuis quelques semaines déjà que tu n'avais pas revu ta grande amie A. Depuis l'ouverture des modules de jeux, les enfants se rapprochent, qu'on le veuille ou non. Après avoir fait plutôt attention pendant plusieurs minutes, c'était plus fort que vous, et vous avez glissé enlacés.

4 juin

Sporadiquement, cycliquement, ton rêve proclamé est de devenir pompier. Ces derniers temps, tu t'exerces à la lance : tu arroses la cour – ton sport préféré. C'est du sérieux!

Du coup, tu réduis la tâche d'une des locataires d'en-bas. Et il n'y a pas à dire, notre cour est verdoyante!

5 juin

Aujourd'hui, tu es allé dans les jeux d'eau pour la première fois de l'été. On dirait bien que cette année, tu vas aimer! Tu étais si fier d'avoir traversé les jets de la grande loupe!

En soirée, nous avons enfin reçu des amis à souper - dans la cour, bien sûr. Une première! Tu étais si content... après tout, c'est toi qui avait suggéré les heureux élus. On a bien profité, mais ils sont rapidement partis quand il s'est mis à pleuvoir.

Le temps tombé du ciel : semaine 11 / La vie au temps du coronavirus / Photographe documentaire à Montréal

23 mai

L'annonce de la reprise de service pour les photographes, hier, a un peu chamboulé ma fin de semaine.

Aujourd'hui, j'ai donc travaillé un peu à l'élaboration d'un plan de match professionnel pendant que tu jouais avec Papa au parc et dans la ruelle.

Je vous ai ensuite rejoints pour une virée dans le stationnement du collège en famille : c'est que tu es gêné de te pratiquer à faire du vélo d'équilibre devant les amis de la ruelle. Tu trouves qu'ils vont bien vite, eux, avec leur vélos de grands! Même la petite de trois ans qui habite en arrière file à vive allure sur sa draisienne. Alors nous t'avons accompagné pour que tu gagnes en assurances et en confiance en tes moyens avant de t'élancer devant les autres.

Pendant que nous y étions, ton père a grimpé dans un des arbres qui trônent au milieu du stationnement, et t'a hissé en haut avec lui. Tu étais excité, mais tu avais aussi un peu peur. C'est normal!

En après-midi, nous nous sommes amusés dans la cour : tu as coupé du gazon avec des ciseaux, nous avons mis un drap par terre pour jouer au jeu de mémoire, et puis tu t'es enveloppé dedans pour te cacher.

Après avoir soupé sur le balcon, nous avons profité des splendeurs du coucher de soleil dans la ruelle – jusqu'aux derniers rayons, qu'on ne voit normalement jamais. Tu t'es couché tard, mais tu en as eu plein les yeux – nous aussi.

24 mai

De rares jours, je n'ai pas envie de prendre de photo. C'est souvent le dimanche, quand nous somme occupés à profiter de la vie à trois. On a joué, on a fait des courses et on est allés prendre l'apéro chez des amis (on a le droit maintenant, depuis vendredi! À 2 mètres) sans repasser à la maison – donc je n'avais pas ma caméra pour immortaliser tout ça.

Pour terminer la journée, on a soupé tard (on a un nouveau barbecue!), tu t'es encore couché tard, et nous avons appelé une veilleuse en renfort pour t'accompagner vers le sommeil.

25 mai

Montréal se déconfine de plus en plus avec la réouverture des commerces non-essentiels. Je peux donc reprendre le travail! (Même si je m'occupe encore de toi quelques semaines, jusqu'à ce que ta place en garderie soit prête.)

Aujourd'hui, tu as reçu du courrier de tes grands-parents : une enveloppe remplie de collants – et d'une belle photos d'eux ensemble. Tu t'es empressé de vider la page de voitures, les agençant d'abord dans une mise en scène d'accident, sur une grande feuille de papier. Les camions de pompiers qui se sont foncés dedans à une intersection, les ambulances qui accourent, les embouteillages, les pancartes qui indiquent la direction à suivre... Tout y était – c'est le cas de le dire. Tu t'es ensuite mis à transférer les collants sur tes objets, dans de petites mises en scène. Sur ma main, tu as collé une flèche de sens unique : « c'est pour dire que la bague est ici. »

26 mai

Au début du moi, nous enfilions encore nos manteaux d'hiver pour aller trottiner dans le quartier. Soudainement, c'est la canicule! Tu adores te saucer dans ta petite piscine – qui est à peine plus grande que le bain. Tu aimes encore plus les jets d'eau! Pour une première année, tu apprécies te faire arroser. Cet après-midi, l'arrose-gazon a donc servi de jeux d'eau de ruelle, au grand bonheur de toi et tes copains. Ça me rappelait mon enfance, le béton en moins.

La lumière, l'eau, le mouvement et ta voix enthousiaste... C'était une vision si belle et dynamique! Dans le feu de l'action, j'ai documenté le tout en vidéo seulement)

En fin de journée, tu aurais bien aimé rejoindre les filles pour leur entraînement bootcamp dans la ruelle.

27 mai

La canicule continue. Ce matin, nous nous sommes rendus à la fontaine du marché Maisonneuve. Les gouttelettes échappées des hauts jets ne suffisaient pas à nous rafraîchir. Rapidement, tu as souhaité rentrer à la maison pour jouer dans ta petite piscine. Tout nu! À vrai dire, par les temps qui courent, tu as souvent envie d'enlever tes vêtements.

Plus tard, pour terminer la journée en beauté, nous sommes sortis nous balader pour admirer les lilas en fleurs dans le voisinage. C'est une vision et un parfum qui me ravissent de plus en plus à chaque année. (À bien y penser, depuis l'année de ta naissance, je crois.)

En chemin, tu as eu l'idée te mettre ta force à l'épreuve en soulevant un pavé. Tu as vite compris ta mauvaise idée... C'est un gros bobo que tu t'es fait dans le silence le plus total. Ta grimace de douleur a suffi – mais tu ne t'es pas manqué! Je crois que tu ne t'y reprendras plus.

28 mai

Il est finalement arrivé : le bout du rouleau. Deux mois et demi plus tard. Tout ce temps que nous passons ensemble commence à me peser. Il ne me reste plus beaucoup de patience, envers toi, envers moi, envers cette réalité familiale de mère-au-foyer-dévouée-toute-entière-à-l'autre. Je t'aime, mais j'aurais besoin d'une pose. Lire, écouter de la musique, chanter, sortir marcher à la brunante. C'est choses que j'aime qu'il est difficile – voire impossible – de réaliser quand je suis toujours « de garde ». Ce journal de confinement, passion et exercice vital, me garde le nez dans ces journées avec toi. Pour le meilleur et pour le pire. Je m'efforce que le meilleur rayonne!

Nous avons eu la visite d'une amie au parc. Ça a fait du bien, en plus de relativiser nos maux de confinement. Parole de célibataire : « Ça fait des mois que je n'ai touché à personne ». T'imagines? Quelle chance d'avoir été confinés en famille, câlins à volonté.

En après-midi, nous avons sorti la peinture à l'eau. Tu as peint une grotte vue du ciel quand tu es passé en parachute (!), amalgame entre un vidéo de parachute et un article sur la spéléologie que je t'ai montré cette semaine.

En soirée, nous avons inauguré avec beaucoup de bonheur notre table de balcon. C'est un plaisir que nous renouvelons enfin, après 3 ans sans déjeuner à l'étage. D'en haut, on voit encore mieux les arbres, les lignes tes toits, on observe mieux notre coin de ville. Ton père était si heureux... et toi aussi. (et moi donc, puisqu'il nous a pris ces belles photos)

29 mai

D'où venait ce malaise qui t'a rendu malade ce matin?

Nous ne le saurons pas.

Je me suis simplement occupée de toi.

Le temps tombé du ciel : semaine 10 / La vie au temps du coronavirus / Photographe documentaire à Montréal

16 mai

Nos semis commencent à sortir de terre. On a même des surprise : toutes les graines semblent soudainement avoir germé! Comme je n'étais pas certaine que les graines des poivrons achetés à l'épicerie allaient réellement donner des pousses, nous en avons placé plusieurs par pot. Résultat? TOUT a poussé! Au total, près d'une centaine de tiges ont poussé... Notre étonnement est grand devant ce spectacle, où des amas de tiges cachées sous des bosses de terre se déploient enfin. Où va-t-on planter tout ça? On se fait une haie, peut-être?

Dehors ce matin, on a réussi à te convaincre de monter sur ton vélo pour te pratiquer. Tu as pédalé presque 5 minutes, cette fois. Lentement, mais sûrement!

17 mai

En cette ère de la distanciation sociale, comment profiter du beau temps et prendre l'air sans se préoccuper de trop se rapprocher des autres gens aussi à la recherche de pareilles sensations? En visitant un grand parc nature! C'est l'idée de ton père, qui connait un peu mieux que mois les trésors des bouts de l'île. Nous profitons de ce beau dimanche pour donner rendez-vous à des amis, pour une petite marche et un pique-nique qui sort de l'ordinaire.

Dans le stationnement, nous sommes accueillis par des traces de chevreuil bien fraîches. Je ne prends pas beaucoup de photos, préférant documenter l'événement par quelques vidéos.

Au retour, nous vivons un miracle : tu t'endors dans l'auto! C'est ta deuxième sieste depuis le début du confinement.

18 mai

Votre projet voit enfin le jour aujourd'hui : ton père et toi mettez la touche finale à la pancarte « Attention aux enfants » commencée la semaine dernière. Au petit matin, S. trace au plomb les mots et dessins que plus tard, vous peinturez ensemble. Le tout sera protégé d'une couche de vernis. Le soir, nous installons votre œuvre - et la laissons maintenant faire son œuvre à elle.

19 mai

Quand nous affirmons habiter près du Stade, souvent les gens nous disent : « chanceux, vous être proche du Parc Maisonneuve! ». Et bien malgré ça, nous n'y allons presque jamais. C'est en haut de la côte, au-delà de notre circuit habituel. Si proche, mais si loin en même temps...

Il a donc fallu que je mette cette sortie dans les plans pour enfin y aller ensemble, tous les deux, deux mois plus tard. En route, tu t'exclames : « c'est loin, le parc! ». Une chance que nous avons pris la trottinette.

Une fois rendus à l'intérieur, nous trouvons un endroit ensoleillé pour lire « The fire cat », ce livre que tu aimes tant. Nous marchons ensuite dans la « forêt » (une frange d'arbres), à la recherche de chevreuils. Tu trouves un tronc coupé et te penche au-dessus : « on regarde pour voir où on est » (comme sur une carte!)

Puisque l'entrée sur le terrain du Jardin botanique est interdite aux visiteurs, nous ne nous sommes pas approchés des grandes plates-bandes de tulipes bordant l'allée menant au pavillon (mais desquels certains s'approchaient malgré l'interdiction de passer). À la place, nous nous contentons d'admirer les tulipes à l'extérieur de l'entrée, près de l'intersection de Sherbrooke et Pie-IX. Tu suis avec beaucoup d'intérêt les allers et venus d'un petit papillon qui, comme toi, aimes beaucoup ces fleurs.

- « C'est quoi ta couleur de tulipe préférée? »

- « Toutes les couleurs! »

En arrivant à la maison, au lieu de regarder une vidéo de Canadairs pendant que je préparais le dîner, tu as voulu voir comment poussaient les tulipes.

20 mai

Les jours sans histoires sont nombreux, dans ce confinement. Souvent, c'est le jour de la marmotte. Tu aimes les choses simples – et moi aussi.

Une sortie dans la ruelle t'a suffi ce matin : marelle, observation des fleurs du moment et trottinette. Le soleil plombait et il faisait très chaud. Tout de même, tu refusais d'enlever ton chandail chaud.

Lors de notre deuxième sortie de la journée, en après-midi, tu as voulu mettre ta nouvelle casquette et ton chandail « de magie » (le rose, que tu aimes tant). Au bout de tes doigts, les pissenlits avaient justement l'air de baguettes magiques.

21 mai

Tout ce temps passé ensemble, et le fait que je m'attarde aux détails de notre quotidien, m'amène à remarquer - et noter – que c'était ta première sortie matinale en culottes courtes cette année! Au parc, tu as demandé à être pieds nus dans le sable de l'aire de jeu (illégal, pas illégal, on laisse de plus en plus aller). Tu t'es exercé avec fierté à sauter du haut du massif rocheux du module des petits. Tu volais presque!

22 mai

Au petit matin, notre très chère proprio et voisine E. a réparé la crevaison sur ton vélo d'équilibre - dont tu n'as jamais voulu, mais qui ferait un si bon entraînement pour passer au grand vélo à pédale et petites roues.

Tout de suite après, tu as accepté de monter sur ta selle : tu as ainsi pu apprivoiser le mouvement du guidon qui tourne. Tu as commencé en marchant assis, mais déjà après quelques minutes, tu commençais à gagner en assurance et à faire des pas de plus en plus grands. C'est un bon début!

En fin de journée, tu demandais à reprendre l'exercice. Quelques minutes de plus, c'est déjà ça! Parce qu'un jour, tu sais, on fera un voyage à vélo ensemble au bout du monde.

D’ici là, tu adores faire le parcours que j’ai dessiné à la craie dans la ruelle.

Le temps tombé du ciel : semaine 9 / La vie au temps du coronavirus / Photographe documentaire à Montréal

9 mai

La semaine dernière, ton père t'a promis qu'il te fabriquerait « quelque chose en bois » cette fin de semaine. Nous avons eu l'idée de rendre l'utile à l'agréable : fabriquer un panneau « Attention aux enfants » pour mettre à l'entrée de notre ruelle – que certains automobilistes prennent pour une piste de course. Depuis le temps qu'on en parlait!

Le plan était simple : prendre une retaille de panneau de contreplaqué qui traîne dans la remise, le couper à une taille raisonnable, le peindre en blanc puis écrire et dessiner dessiner dessus pour le transformer en outils de sensibilisation au vivre-ensemble.

Aujourd'hui, la première étape : couper le panneau de bois. Et toi qui s'exclame : « C'est la première fois que je vois quelqu'un qui scie du bois comme ça. » Quelle bonne occasion de te rentrer ta première écharde!

Plus tard, j'ai aussi capté quelques souvenirs d'une promenade de fin de journée, et cette lumière trop belle près de la ruelle des lilas – comme on l'appelle. Je ne me tannerai jamais de ta petite silhouette.

10 mai

À 7h30 ce matin, j’ai été réveillée par ton père qui sortait du lit, en douce, pour se rendre à ta chambre. Je ne t'avais pourtant pas entendu appeler.

Tout de suite, vous vous êtes mis à chuchoter. Dans la cuisine, j'ai entendu des bruits de plastique froissé, des ricanements, et encore plus de murmures mystérieux. Une partie de moi essayait de déchiffrer ce que vous faisiez, une autre me disait de me boucher les oreilles pour garder la surprise totale : ce n'est pas la fête des mères tous les jours!

Quelques minutes plus tard, tu venais me tirer du lit : « Bonne fête Maman! » (« Il sait que ce n'est pas ta fête, mais il voulait absolument te le dire comme ça! »)

Sur la table de la cuisine, trônait un beau bouquet de roses – séchées -, une carte et une bouteille de bulles pour le bain (« naturelles », s'il vous plaît!). Je crois bien qu'un de ces beaux cadeaux va bénéficier à toute la famille!

Après avoir mangé le bon petit déjeuner que vous m'avez préparé, nous avons poursuivi notre œuvre de ruelle : peinturer le panneau ce bois. Chacun à notre pinceau, nous avons étendu le blanc le plus immaculé du moment. La suite dans quelques jours.

En après-midi, tu as demandé à ton père quand il te ferait « quelque chose en bois »... Tu n'avais pas compris - ou n'acceptais pas - que ce serait la pancarte pour la ruelle. Ton père a rebondi, te demandant ce qui te ferait plaisir d'avoir comme jouet : un avion!

La retaille de la retaille de contreplaqué devint des ailes. Un bâton de bois trouvé sur le bord du chemin, la carlingue. Tu as aidé à scier, sabler, visser, clouer, avec beaucoup d'attention et de fierté.

Question de me faire plaisir, j'ai demandé à passer un peu de temps avec vous au salon, à manger du pop-corn pendant que je gratouillais la guitare – que je ne touche presque jamais ces dernières années.

Puis, tu nous en as sorti une bonne. Enfilant ton petit masque en tissu, tu t'es exclamé : « Je joue que je vais à l'épicerie! »

Ces bonheurs simples sont les plus précieux.

11 mai

Ah, ce qu'on ne connait pas bien la faune montréalaise – pas encore, du moins. Se balader avec toi nous rapproche chaque jour un peu de la biodiversité locale, à force d'observations et de questionnement. Il ne manque plus qu'à chercher quelques réponses...

Ce matin, alors, une autre petite coquille d'oeuf turquoise s'est trouvée sur notre chemin. À la différence de la dernière fois, il s'agissait aujourd'hui d'une moitié, toute propre celle-là. Est-ce que l'oiselet était bien né? Était-il encore vivant, à profiter du printemps? S'était-il déjà envolé?

Nous avons cherché un nid dans les buissons environnants, mais nous n'avons rien trouvé. Peut-être étaient-ce d'autres enfants curieux qui l'avaient déplacé jusqu'aux abords du terrain de soccer du collège de Maisonneuve? Un prédateur?

À la maison parfois, tu me fais penser à un oisillon qui observe le monde du haut de son nid.

12 mai

Depuis quelques temps, nous apercevons régulièrement ce mignon gros minou, un peu plus haut dans la ruelle. Le pauvre persan est en laisse, attaché derrière chez lui. Il est sociable et bavard – et allergène, de mon point de vue. Pour l'enfant sans animal que tu es, c'est une bête fort attachante (!). Tu as néanmoins intérêt à ne pas trop t'attacher, malheureusement, car il paraît qu'il déménage au premier juin.

*

L'épisode du bain s'est trouvé grandement amélioré depuis la fête des mères : tu es devenu fan des bulles! En plus de te faire glisser dans le fond du bain, le savon mousse nous fournit une projection dans le futur : toi avec une barbe – blanche.

13 mai

La semaine dernière, ta grand-mère a eu la très bonne idée de t'envoyer un nouvel ensemble de legos par la poste. Le hic? Les frais de poste semblaient démesurés pour le cadeau, alors elle a décidé de le garder chez elle jusqu'à nos retrouvailles – et de t'envoyer un message vidéo pour t'annoncer la bonne nouvelle.

Malheureusement, cette bonne intention t'a apporté beaucoup de tristesse... Par un beau hasard, un petit ménage de garde-robe m'a fait tomber sur un mini ensemble de blocs que tu avais reçu alors que tu étais beaucoup trop petit pour ces manipulations. La joie quand tu as vu la petite boîte! Sur l'image, la voiture de course, le monstre et le moulin t'ont vite donné envie de te mettre au travail. En 30 minutes, tu avais réalisé les trois constructions!

Ton autre grande force restera la trottinette, que tu maîtrises mieux que jamais. Tu prends parfois une telle vitesse dans les pentes! Tu mets ton sens de l'équilibre à l'épreuve en faisant l'arabesque roulante, ou encore en t'acroupissant, les pieds comme en rouli-roulant.

Je t'appelle mon trottineur acrobatique. Tu préfères que je t'appelle « Trottineur aquatique de vitesse » (!). Pourquoi pas!

Et j’adore quand tu trottines avec ton ombre.

14 mai

Mai avance, et ton appréciation des pissenlits ne tarit pas. Tu aimes les sentir et t'en mettre plein la figure. Depuis quelques jours, tu peux maintenant faire voler leur graines – en soufflant, en les arrachant, en secouant les tiges - et ça t'amuse franchement.

Ce matin, en route vers le parc Morgan (encore la grande aventure), nous sommes passés devant une école où on donnait des objets perdus aux passants. De loin, je devinais une prof bénévole (elles donnent leur temps sans compter), postée entre le trottoir et la clôture, à lancer les objets choisis.

Au parc, il y avait plus de gens cette fois-ci. Il faisait beau, et certains en profitaient pour faire un pique-nique ou se mettre en manche courte à l'abri du vent. En trottineur aquatique de vitesse / acrobatique, tu dévalais la pente tellement vite, et sur une patte de surcroit... que je n'osais même pas regarder. Tu étais magnifique, confiant, libre. Ça nous a fait du bien.

Comme le parc est loin de la maison, nous n'y restons jamais bien longtemps. Surtout que notre vitesse de croisière est celle de la tortue. Déjà à la fontaine côté Sainte-Catherine, tu voulais grimper, observer l'entretien en cours, sauter.

Pour te faire avancer de quelques mètres, je t'engage en pointant le théâtre Denise-Pelletier de l'autre côté de la rue :

  • « Est-ce que tu crois que c'est un vieux bâtiment ou un bâtiment nouveau? »

  • « Vieux. »

  • « Qu'est-ce qui te fait dire ça? »

  • « Parce qu'il y a des vieux dessins. »

Bien vu, cher enfant! C'est le début d'une sensibilité architecturale, que nous travaillerons tous les deux – avec ton père aussi, qui est pas mal à ce chapitre.

*

Aujourd'hui, j'ai procédé à un envoi de masse de beaux portraits d'enfance par la poste. Après un décalage de plusieurs semaines dû aux fermetures des services non-essentiels, j'ai enfin pu rassembler ces souvenirs de la vie « d'avant » : des frimousses heureuses et insouciantes photographiées à la veille du confinement soudain. Je suis heureuse que mon travaille serve à se souvenir du beau, de amis, du personnel tellement bienveillant des garderie. De la beauté de l'enfance, justement.

*

Pourquois du jour :

  • « Pourquoi les adultes traversent la rue tous seuls? »

  • « Pourquoi je suis un garçon? »

15 mai

Bien que les beaux jours de printemps soient arrivés, il y a parfois des jours bien gris comme aujourd'hui. Il y avait longtemps que n'étions pas allés nous balader dans le stationnement du cégep. L'endroit était désert – si ce n'était que de cette femme qui y avait elle aussi trouvé un peu de calme et d'horizon, et travaillait à l'ordinateur sur une table de pique-nique.

Entre deux jeux imaginaires, nous avons écouté le chant des oiseaux, qui sont très nombreux dans ce grand îlot où poussent plusieurs grands arbres. Un merle d'Amérique était perché sur l'arbre planté dans le terre-plein que tu appelles ta fusée. Il jasait et sautait parfois de branche en branche. Voulant le photographier pour montrer comme il était bien camouflé, je l'ai accidentellement capté en plein envol. Bien qu'en très petit sur la photo, l'arrêt sur image de son plumage déployé est de toute beauté. Une fraction de seconde dans l’infini.

De retour à la maison, je t'ai sorti une loupe pour que tu observes en détail les pousses de poivrons qui commencent à sortir de terre. Comme c'était la première fois que tu manipulais cet instrument, ses effets t'ont rapidement fasciné.

Je t'ai aussi montré que la loupe pouvait déformer les traits du visage... les tiens, plus exactement!

Le temps tombé du ciel : semaine 8 / La vie au temps du coronavirus / Photographe documentaire à Montréal

2 mai

Enfin, il a fait chaud aujourd'hui. Nous sommes sortis te faire courir au parc, puis avons enchaîné avec une course de grands (toi dans ton bolide de course : la poussette!) et accessoirement saluer des amis à l'autre bout de Maisonneuve – à 2m de distance s'il vous plait.

Nous avons ensuite fait une tournée du centre-ville en voiture pour prendre le pouls des artères commerciales et des parcs, question d’observer comment se vivait la distanciation sociale un beau jour de fin de semaine. Tu as été bien patient et as apprécié admirer les gratte-ciels et les maisons victoriennes avec nous. Il faut dire que maintenant, tu es assez grand pour regarder dehors et descendre ta fenêtre toi-même.

3 mai

Comme il faisait (encore) beau ce matin, ton père en a profité pour t'initier à la pétanque au parc Lalancette. Mais toi, tu préférais faire rouler les boules dans la descente pour handicapés du pavillon des sports.

En après-midi, nous avons donné un peu d'amour – et d'eau - à notre carré d'arbre, où nous avons osé planté quelques rhizomes de houblon. Après avoir fini le travail, nous avons trouvé un petit coin sur le balcon à côté de ton vélo (que tu ne veux jamais utiliser) pour faire l'apéro sans manteau. Tu aimes tant les olives... que tes petites dents « épluchent » délicatement, les Kalamata autant que les vertes reines. Ton eau-pétillante-jus-de-citron-sirop-de-grenadine accompagne chacun de nos toasts. Peut-être est-ce ce qui nous garde en santé?

Il s'est mis à tomber quelques gouttes, alors nous sommes rentrés jouer. Quand le ciel a laissé passer quelques brillants éclats de soleil, j'ai tout de suite pensé qu'un arc-en-ciel devait se dessiner quelque part. Il était bien là, tracé parfaitement d'est en ouest, de part et d'autre de la maison.

« C'est la première fois que je vois ça, un arc-en-ciel! »

4 mai

Depuis quelques jours, tu demandes à aller au parc Morgan. C'est vraiment étrange, puisque nous n'avons pas mentionné son existence depuis des mois. Un beau jour que nous étions au marché Maisonneuve, tu l'as aperçu par-delà la fontaine, puis sa mémoire t'es revenue.

Aujourd'hui donc, nous avons fait une grande balade en trottinette jusqu'au beau parc Morgan. Pour faire changement, j'ai laissé la caméra à la maison. Le temps gris avait certainement donné envie aux familles de rester à la maison, car il n'y avait personne. C'est tellement étrange, un parc sans enfant... On sentait davantage la proximité avec le port, d'où on voyait promener les conteneurs sous les grues. Et tu avais la rigole sèche à dévaler, pour toi tout seul.

Durant le repos, je suis allée faire les courses pour la semaine. Pendant mon absence, tu as fait un bricolage pour ton père qui travaillait – glissé sous la porte du salon. À mon retour, avec les retailles, tu as spontanément bricolé un avion. En le coloriant, tu t'es mis à tracer avec soin des lignes de couleurs différentes les unes à côté des autres, sur une aile :

- « Qu'est-ce que tu dessines? »

- « C'est le drapeau de l'Italie »

Pourquoi l'Italie? À cause de ton livre Martine en avion, qui suit la petite dans son périple jusqu'à cette exotique destination.

Plus tard, quand ton père a terminé sa journée de travail, il est ressorti du salon avec entre les mains le bricolage que tu lui avais fait – et dans les yeux, un air ébahi :

- « Qu'est-ce que tu as écrit ici, N.? »

- «  Mon nom! »

Alors c'est comme ça qu'un beau jour de mai, tu as écris ton nom tout seul pour la première fois, sans aide! Bon d'accord, il manque quelques lettres, mais à nos yeux c'est fabuleux. Ce qu’on est fiers de toi… C'est comme ça, les parents.

Puis, pour continuer avec les couleurs et les lettres, on a mis de la craie et de la joie sur le trottoir près de notre carré d'arbre, pour faire sourire les passants derrière leurs masques.

5 mai

Comme tu poses toutes sortes de questions à notre bricoleuse proprio, qui est toujours en train de construire ou réparer quelque chose autour de l'immeuble, celle-ci a eu l'idée la plus adorable qui soit.

Sans l'annoncer, elle est venue te porter un cadeau : un coffre à outils! TON premier coffre à outils – qui était en fait le sien aussi, reçu lorsqu'elle était petite, puis garni de quelques outils en guise de trousseau. Ça fait beaucoup de première mémorables dans la même semaine...

6 mai

Je sais qu'on est un peu en retard, mais comme j'ai toujours envie de faire des activités éducatives avec toi – mais prends très peu le temps d'organiser les choses – nous avons enfin planté quelques graines pour faire des semis. De poivrons – ou « provrons », comme tu dis. À partir de poivrons achetés à l'épicerie – et mangés. Tu n'avais finalement pas tellement envie de m'aider dans ce projet, que j'ai pas mal réalisé toute seule. Tu as collé les collants pour identifier les pots selon la couleur des légumes : orange, rouge et jaune. C'est déjà ça!

Durant notre balade matinale, nous nous sommes arrêtés pour observer l'état de décomposition du petit œuf turquoise aperçu dans une ruelle il y a quelques semaines. Tu m'as alors demandé à prendre ma caméra. J'ai hésité, puisque pour une rare fois, j'étais sortie avec mon boîtier professionnel... Puis je t'ai fait confiance.

J'ai bien fait, puisque tu as réalisé des portraits très réussis de moi – je trouve! (« J’ai pris plein de photos de Maman… Youpi, j’suis content! ») Malgré le côté un peu aléatoire de tes cadrages - puisque tu avais du mal à enligner ton œil dans le viseur - ces quelques photos sont absolument fidèles au moment. On y voit une maman face à son grand garçon, aimante, fatiguée, amusée. À l'image de nos journées de confinement.

Au bout de la ruelle, les fleurs de magnolia continuaient tranquillement de s'ouvrir.

En après-midi, question de pouvoir travailler un peu, je t'ai installé à mes côtés, sur le vieux coffre dans l'entrée. Tu y a dessiné «  La ferme-champ », une œuvre abracadabrante mettant en scène un fermier et sa ferme dans lequel brûle un feu de foyer, avec au grenier un clapier. Le tout au-dessus d'un champ où se côtoient maïs, terre, gazon et carottes.

Quand as-tu étudié les perspectives de Picasso?

7 mai

Des photos prises aujourd’hui, se révèlent des cloisons et frontières, visibles et invisibles, qui peuplent notre environnement et notre mode de vie actuels.

Au parc, après notre jeu de ballon de part et d'autre d'une clôture, tu as voulu aller jouer dans les estrades. Malheureusement, il a fallu attendre qu'elles se “libèrent” pour ne (SURTOUT) pas s'approcher des autres enfants qui s’y amusaient déjà.

Plus tard en après-midi, en mangeant ta collation sur le balcon arrière, tu regardais des voisins plus vieux jouer au tennis dans la ruelle, intrigué et envieux. Quand dans le feu de l'action ils s'approchaient, tu criais « 2 mètres! ».

8 mai

Aujourd'hui près de la fontaine du marché Maisonneuve, nous avons retrouvé Ellie, une copine de ton ancienne garderie avec qui nous n'avions pas gardé contact. Tu ne l'avais pas revue depuis la fin de l'été dernier, et tu ne semblais pas trop t'en rappeler...

Elle, ne t'avait pas oublié : elle était si contente qu'elle te pourchassait avec son vélo. Saisi d'une grande timidité à la rencontre de tant d'enthousiasme, tu as dû trouver du réconfort dans mes bras pour te ressaisir. Un instant plus tard, tu la pourchassais en retour en criant son nom, tout sourire. Ah, les émotions!

Comme autrefois, sa maman et moi vous confondions : vous vous ressembliez avec vos belles bouclettes blondes, vous vous ressemblez à nouveau avec vos casques à pois.

(Ai-je vraiment besoin de souligner qu'il neigeait encore, en cette deuxième semaine de mai?)

Le temps tombé du ciel : semaine 7 / La vie au temps du coronavirus / Photographe documentaire à Montréal

25 avril

Pour faire spécial (et efficace) aujourd'hui, nous avons fait l'épicerie pour la semaine avec la voiture que nous avions emprunté pour aller au centre-ville en urgence mercredi. Tant qu'à être en déplacement, nous en avons profité pour aller prendre l'air du large et saluer des amis du Far West (du fond de leur cour). 

Au retour, nous avons traversé le fleuve en empruntant les deux ponts entre là-bas et chez-nous : quelles magnifiques perspectives sur la ville et sur nos vies confinées!

Secrètement, nous avons essayé de te faire faire une sieste - en vain. Tu étais trop content de voir tout ça toi aussi.

26 avril

Aujourd’hui, je ne me sentais pas très bien. On a fait beaucoup de ménage dans la maison, et je me suis complètement coincé le dos en nettoyant le plancher. Ton père et toi rattrapiez le temps perdu pendant que moi je me reposais.

Mine de rien, je n’ai pas touché à ma caméra de la journée (une première en près de 50 jours de confinement). Ton père avait donc la voie libre pour utiliser la sienne - il a justement fini un film, que nous avons bien hâte de faire développer quand le labo rouvrira.

27 avril

Ce matin durant notre marche, nous avons admiré le rose des boutons de fleurs de magnolia, le turquoise d'un œuf tombé du nid et le jaune des nouveaux pissenlits hochelagais.

À notre retour, une belle surprise t'attendait dans la boîte aux lettres! C'était une réponse d'amis à qui tu avais envoyé un beau dessin la semaine dernière. Vous entretenez une vraie correspondance!

En prime, les amis avaient joint à leur lettre, une belle feuille de collants tous droits sortis d'une autre époque – un jour, tu sauras qui sont ces étranges personnages rigolos à la peau jaune. Tu as tout de suite décidé d'en coller un grand nombre :

- "J'suis vraiment content que c'est à moi. Je partage avec les autres. (...) T'en as beaucoup toi, c'est pour dire que t'es une princesse, Maman."

#petitbonheur

En soirée, nous avons célébré à distance la fête de ta tante. Quel moment heureux et crève-coeur tout à la fois... Nous nous souviendrons longtemps de ces quarante chandelles que nous aurions tant aimé souffler avec elle.

28 avril

Le ciel était si beau ce matin. Il était d'un bleu profond, et de fins nuages semblaient avoir été dessinés par légers coups de pinceau. Ces derniers temps, tu as beaucoup envie de rester dans ton parc. Tu as découvert un nouveau potentiel à la butte du terrain de balle : la dévaler assis sur ta trottinette.

Comme c'est la première saison des pissenlits, tu as toujours envie d'en cueillir, « pour les donner à Papa ». Bien que ces fleurs ne s'y prêtent pas vraiment, je t'ai tout de même recommandé de les mettre dans l'eau pour qu'elles se conservent jusqu'à ce que Papa ait fini de travailler. Pour m'assurer que tu ne les immerges pas au complet, je t'ai précisé de ne mettre que la tige dans l'eau.

Pendant que j’étais occupée à autre chose, et bien, tu as pris ces instructions au pied de la lettre...

« Et voilà! »

La pureté de ta joie a vite fait de chasser ma stupéfaction. Rarement ai-je ressenti un attendrissement aussi fort pour toi. Des fois comme ça, malgré toute la maturité dont tu fais preuve pour ton âge, j'ai une démonstration fulgurante que tu n'es encore qu'un enfant.

Un enfant qui plus tard a rempli sa mission d'aider au lavage de fenêtres avec beaucoup de motivation. Un signe qu'enfin, le printemps est arrivé - et que tu es quand même un peu un grand, maintenant.

29 avril

Ce printemps, les parents bien spontanés que nous sommes ont été un peu pris de court de constater que tu grandissais plus vite que les vêtements que les gentils voisins mettaient à notre disposition. Surtout en ce qui concerne les souliers.

Tes pieds sont tellement longs... On chausse grand, dans nos familles, et ta génétique nous rappelle quotidiennement les attributs des uns et des autres dans ton arbre généalogique.

Ce matin, je t'ai donc fait choisir entre deux modèles de bons souliers repérés sur internet (des 12, la taille juste avant les tailles de grands!). Comme l'achat en ligne est très peu notre genre, j'ai réussi à trouvé une boutique rosemontoise qui permettait la cueillette quasi immédiate.

Pour passer le temps avant ce moment tant attendu, nous sommes allés jouer dans le carré de sable du parc - de manière totalement assumée. Pendant que tu jouais, tu y as attrapé une coccinelle pour la première fois. Ce moment fut trop bref pour l'attraper sur caméra, mais tu m'as raconté comment tu as aimé la faire marcher d'un doigt à l'autre, sentir ses petites pattes se serrer sur ta peau, avant qu'elle ne s'envole.

En après-midi, tu t'es rapidement affairé à casser, salir et grafigner tes souliers neufs. Tu as vite fait la démonstration qu'ils peuvent tout faire : marcher, courir, sauter, grimper. Tout, sauf sauter dans l'eau.

Prochains mission : te trouver de nouvelles bottes de pluie.

30 avril

Il pleuvait beaucoup ce matin. Ce genre de matin qui donne envie de rester au lit. Une chance que tu avais une motivation pour sortir : aller marcher sous la pluie avec ton nouveau parapluie - acheté en même temps que tes souliers. (Depuis le temps que tu en voulais un!) Tu ne connais pas encore les Vikings, mais ce choix de motif permettait d'éviter les envahissants clichés des dinosaures et des camions – ainsi que des princesses.

Aussitôt dehors, un camion de pompiers est passé en trombe sur la rue Hochelaga, direction est. Nous avons l'habitude d'être à l'affût quand on entend raisonner les sirènes des camions de la caserne voisine, mais cette fois-ci, les sirène se sont mises à hurler de tous les côtés. Pendant qu'on se faisait mouiller sur la tête, c'est une dizaine de véhicules d'urgence de différents quartiers qui sont passés à vive allure près de nous : camion pompe, camion échelle, voiture de pompier, poste de commandement, unité de ravitaillement en air respirable, autobus d'aide aux sinistrés... une vraie vitrine pour les services su SIM!

Nous avons cherché à nous approcher du site de l'alerte visible à l'horizon, mais malgré ton enthousiasme, nous marchions tellement lentement que les renforts reprenaient déjà la route du retour vers leur caserne du Plateau, de Ville-Marie et de Rosemont. Nous avons donc eu le spectacle en double. Et nous ne saurons jamais ce qu'il s'était passé – ou pas – pour faire sortir tout ce monde-là.

Il y a de ces cris à l'aide qui commandent une réaction vraiment efficace, impressionnante – et d'autres moins.

Toujours est-il que le ton était donné : tu allais parler de véhicules d'urgence toute la journée!

Comme tu avais vu dans un livre comment faire un avion en papier, mais ne savais pas comment le réaliser toi-même, ton père t'en a fait une. Tu as vite demandé de lui faire écrire « police » et « SPVM » dessus : « C'est un avion de police de la ville de Montréal! ». Puis, tu lui a dessiné de grands gyrophares rouge et bleu sur le toit. Tu as ensuite voulu que je t'en prépare une deuxième : « Ça c'est un avion de police banalisé! ».

Le lendemain, le délire continuera de plus belle, avec la réalisation de deux avions de pompier avec sur le toit, respectivement : une échelle et un boyau d'arrosage. J'ai beau les voir sur le plancher tous les jours, je n'en reviens toujours pas!

1er mai

Hier était une journée vraiment riche en anecdotes – comprendre : en détails dont je souhaite conserver le souvenir. S'ajoutaient à ceux précédemment décrits, la réception d'un cadeau : un colis renfermant une belle carte dessinée par ta cousine, des dessins à colorier de trains et de camion de pompier, et … une bouteille de bulles! Ce matin, c'est donc avec enthousiasme que nous nous sommes tour à tour exercés à souffler et à faire éclater de belles bulles géantes.

Plus tard dans la journée, ton père me faisait remarquer une nouveauté incontournable de ton développement, mais que je n'avais pas encore pris le temps d'identifier aussi clairement : le début de la phase du « pourquoi » :

« Pourquoi faut se brosser les dents? »

« Pourquoi c'est le repos? »

« Pourquoi c'est la nuit? »

« Pourquoi tu m'aimes? »

“Pourquoi tu travailles debout?”

Le temps tombé du ciel : semaine 6 / La vie au temps du coronavirus / Photographe documentaire à Montréal

18 avril

Tu as toujours été d'avance avec les mots : tu as commencé à parler très tôt, et ton vocabulaire est plutôt riche pour ton âge. Pour toi, les lettres et les sons sont un terrain de jeu que tu parcours avec beaucoup de plaisir. Et nous donc!

Cette semaine, tu as goûté à de l'eau pétillante pour la première fois. Notre petite bouteille t'a laissé sur ta soif, aussi as-tu demandé à ce qu'on en rachète. "Je veux l'écrire sur la liste d'épicerie", as-tu dit. 

Je m'attendais donc à un gribouillis représentant le mot "eau", mais ce que tu as fait m’a coupé le souffle : tu as tracé un "O". 

"Voilà, c'est écrit!"

Quel bonheur de constater que tu saisisses déjà que les lettres sont des outils pour exprimer ta pensée. J'ai déjà hâte de te lire.

ps : C'est encore plus spécial avec une goutte de sirop de grenadine.

19 avril

Au réveil, tu n'avais qu'une idée en tête : terminer la construction de ta maison en bloc lego commencée la veille (une espèce de tour très simple, avec pour chaque étage, une fenêtre, ainsi qu'une paire de yeux et de lumières bien symétriques). 

Ton élan créatif pour ces blocs est foudroyante. Quand tu construits, tu as toujours en tête un plan invisible un peu rocambolesque qui te guide, impliquant des avions qui vont sur des rails ou des trains sous-marins qui volent. Quand une nouvelle idée te vient à l'esprit et t'intéresse davantage que la précédente, tu déconstruit sans remord pour reprendre les pièces dont tu as besoin pour ton nouveau projet. Ton esprit est libre et ton imagination, sans attache. 

J'adore le son des petits blocs qui se cognent dans ton coffre, que tu détaches ou que tu assembles en série dans ta quête. 

J'adore t'entendre imiter le son du train sur les rails, de l'avion qui prend son envol, qui plane ou écope (tu aimes beaucoup les Canadairs), des moteurs et des hélices. T'entendre décrire leur trajectoire et leur caractéristiques surprenantes, en action.

C’est dimanche, mais ton imagination ne prend jamais congé.

*

Aujourd’hui dans le quartier, nous avons emprunté des chemins nouveaux. Le changement de perspective nous a fait du bien. Par moments, tu te prenais pour un skater - imitation d’un grand observé la veille. Nous avons aussi retrouvé le Marché Maisonneuve, où tu t’es amusé pour un deuxième jour consécutif à trottiner autour de la fontaine pendant 45 minutes.

Tu es si beau avec tes joues toutes rouges.

20 avril

Après avoir déposé des enveloppes dans la boîte aux lettres près de la maison, nous avons fait un crochet à l'église de l'autre côté du carrefour. On peut presque dire que ça faisait longtemps!

Puis, on a marché sur les chemins d'ombre tracés par les grands arbres du parc Lalancette - pardon, de TON parc.

En longeant la clôture du terrain de balle, tu as trouvé un potentiel nouveau d'escalade. Au bout du champ, tu t'es amusé à faire des roulades sur la butte. Tu as découvert qu'en roulant sur le plat, ta trajectoire tournait. Tu n'as pas trop compris comment éviter ce phénomène, mais j'ai cru voir dans ton regard que tu prenais des notes pour la prochaine fois.

21 avril

Soleil, nuages, neige, soleil, nuages, pluie. 

Avril se prend pour mars. 

Nous avons écourté la sortie trottinette de la journée pour se mettre à l'abri des nuages gris. À l'intérieur, je me suis affairée à ce que la maison sente bon le granola, le bortsch et le ragoût. Disons que ce n'est pas un temps à poke ou gaspacho.

En après-midi, les voisins d'en arrière ont osé sortir les buts et bâtons de hockey dans la ruelle entre deux éclaircis. Tu as demandé à ouvrir grand la fenêtre pour les entendre, leur parler. Nous les avons encouragés. Pour que tu puisses les regarder sans attraper froid, je t'ai mis ton manteau. Puis, la grêle est arrivée.

Soleil, nuages, grêle, soleil, nuage éclairci.

22 avril

Au réveil, tu n'attends pas 2 secondes après que j'aie levé la toile de ta fenêtre pour t’exclamer :

"Youpi, on va pouvoir faire des anges dans la neige!"

Le. 22. avril. Une chance que ton manteau d'hiver te fait encore - en fait, c'est un 5 ans prévu pour te faire au moins deux hivers, si tu ne grandis pas toujours aussi vite qu'en ce moment.

Sur le terrain de soccer du collège de Maisonneuve, les bourrasques de vent étaient glaciales. Nous n'avions jamais mis les pieds de l'autre côté de la clôture éventrée, et tu n'avais jamais vu de filets de soccer de ta vie. De loin, nous ne pouvions pas deviner qu'ils étaient en si mauvais état. Au lieu de chercher à comprendre leur fonctionnement et le rôle des gardiens de but, tu as tout de suite suggérer de jouer au poissons qui se font attraper entre les mailles...

Sur le chemin du retour, notre joie de vivre s'est vite transformée en cauchemar quand tu es tombé face première dans un tas de feuilles de bord de ruelle et t'es planté une tige en plein dans l'oeil. Paniquée à la vue du sang qui teintait tes larmes, j'ai craint le pire. Un accident, c'est toujours bête et parfois tragique, non?

Une visite en urgence chez l'optométriste nous a confirmé que tu avais eu beaucoup de chance, et que ce n'était rien. Ça m'aura permis de t'apprendre l'expression "plus de peur que de mal". Et c'était notre première sortie dans la ville depuis 40 jours.

De retour à la maison, un chat demandait avec insistance à rentrer dans l'appartement. Il nous interpelait par la fenêtre, à la porte - après s'être essayé à l'arrière deux heures plus tôt! Au téléphone, son maître a confirmé que le chat était passé à la maison entretemps et qu'on s'occupait bel et bien de lui. Peut-être voulait-il prendre de tes nouvelles après t'avoir entendu pleurer dans la ruelle?

23 avril

Avant de sortir ce matin, j'ai pris le temps de regarder la météo pour savoir si on devait (encore!) s'habiller en hiver. - Oui. 

Puisque tu t'intéresses beaucoup ces temps-ci au cycle des jours et des nuits, et au concept de décalage-horaire (suite à des conversations vidéo avec des amis en Europe), tu m'as tout bonnement demandé combien il faisait ailleurs dans le monde. Nous avons regardé le temps qu'il faisait à Banyuls-sur-Mer, où habite l'amie A. - 19 degrés, c'est pas juste!

Tant qu'à y être, j'ai pris une seconde pour te montrer Banyuls sur Streetview, pour que tu comprennes les décalages qui nous séparent. - "Les rues sont petites!"

Puis, comme on était prêts à partir, tu as demandé à voir où habite une bonne amie qui reste aussi dans Hochelaga. Sa maison est devenue notre destination. À quelques coins de rues de trottinette, nous l'avons retrouvée en robe de chambre dans son escalier en colimaçon, le temps d'une petite conversation.

À notre retour à la maison, tu as demandé à regarder le clip du "King de la danse en ligne" de Bleu Jeans Bleu. Nous aussi, on est tombés sous le charme de ce morceau accrocheur - et ma foi, touchant. Tu as demandé à le regarder au moins 5 fois! Comme le mix Youtube enchaînait avec "Coton ouaté", tu as pratiqué les moves de danse du clip en trépignant sur ta chaise.

Tu as continué d'explorer tes aptitudes physiques avec un de nos livres du chat, de Philippe Geluck (ton obsession de la semaine).

24 avril

Au parc Lalancette, comme ailleurs, les modules de jeux sont condamnés depuis des semaines pour contrer la propagation de la COVID-19. Par extension, les carrés de sable qui les entourent sont devenus des zones sinistrées. Résultat : un mélange d'hypocrisie, d'insouciance et d'optimisme parental fait migrer les familles dans le terrain de balle voisin. Un vrai sacrilège, dirait plusieurs. Reste que les grains y sont plus fins et plus doux. On se croirait presque à la plage, s'il ne faisait pas -5 avec les rafales de vent.

À la maison, pour faire changement du pain maison, j'ai enfin pris le temps de préparer quelque chose de avec toi : des bagels ("bégueulz", comme tu dis). La recette reste à ajuster pour un résultat plus moelleux et ta technique de roulage demande un peu de pratique, mais tu t'es régalé. (les voisins aussi... mais chut, c'est un secret).

Le temps tombé du ciel : semaine 5 / La vie au temps du coronavirus / Photographe documentaire à Montréal

11 avril

À force de faire des apéros-conférences avec les amis, on a eu envie de se faire un matin pyjama avec la famille pour que N. participe. Ces conversations ne passeront jamais à l’histoire pour leur contenu, mais bien pour leur existence dans nos vies.

Nouvelle habitude avec toi : quand il fait beau lors de notre sortie de fin de journée, nous traquons les ombres dans la ruelle. Tu aimes beaucoup cette réalité double des choses. Sur mon dos, tu vois encore plus loin et plus haut.

Aujourd’hui, tu m’as même demandé : “ Regarde la belle ombre (l’escalier en colimaçon). Prends-la en photo! ”

12 avril

Aujourd’hui, c'est Pâques. 

Comme nous sommes plutôt sceptiques au sujet de la résurrection et réfractaires aux fêtes commerciales (la célébration du chocolat et des lapins), nous n'avions rien prévu de spécial à souligner. 

Les grands-parents ont lancé l'idée d'une chasse aux oeufs de Pâques. Avec enthousiasme, nous avons accepté d'embarquer, et sommes allés nous procurer le nécessaire cinq minutes avant la fermeture des commerces samedi. 

La partie au sujet du "lapin de Pâques" manquait de concertation et de pratique, mais l'idée était parfaite. Comme tu es curieux et as un excellent sens de l'observation, tu as vraiment adoré. Ce n'est pas en photo mais bien en vidéo que j'ai capté l'expérience - pour des souvenirs de ta voix, de tes yeux brillants et de tes pas de danse dans le gazon verdissant.

Nous avions originellement prévu décorer des oeufs, sans trop penser à quel point c'était ardu de faire sortir tout le contenu des coquilles. Nous avons terminé la journée apprivoisant la méthode de peinture à l'eau sur surface ronde et imperméable. 

Nous prenons des notes pour l'an prochain.

13 avril

Un mois de confinement.

Déjà.

Aujourd'hui, c'était un confinement quasi total, justement. Le ciel menaçant nous a fait écourter notre marche matinale. Puis, la neige fondante et les bourrasques de vent nous ont fait renoncer à notre jogging de fin de journée. 

À la place, nous avons osé un "entraînement à haute intensité" avec enfant, à l'intérieur. Tu étais un peu distrait et les jumping Jacks te laissaient dubitatif. En revanche, tu étais le meilleur assistant à redressements assis.

En souvenir de cette journée grise, Papa et toi en bédaine qui choisissez la vidéo pour nous motiver.

14 avril

La garderie est à quelques pas de la maison. En chemin, il y a deux beaux magnolias, que N. n’a encore jamais vu en fleur. Ces derniers temps, nous faisons un petit crochet au détour de nos balades pour voir si les bourgeons de fleurs commencent à se déployer. Et bien oui!

Dans quelques jours, ce sera un spectacle absolument majestueux.

Après avoir admiré les pointes de pétales roses qui pointent hors de leur enveloppe, nous avons poursuivi notre chemin jusqu’au CPE. Surprise : les éducatrices étaient affairées à nettoyer la cour! Nous avons pu échanger des nouvelles pendant que toi, un peu gêné comme toujours quand nous parlons entre adultes, tu escaladais la clôture.

Le thème de la semaine était donné : l’escalade!

De clôtures mais aussi de buttes escarpées des environs. Tu t’amusais à glisser sur les fesses comme sur une montagne de neige. Arrivés à la maison, ton habit de printemps a pris le chemin de la laveuse, pour être prêt à recommencer demain.

15 avril

Ce matin, je t’ai filmé pendant que tu construisais des structures en blocs legos : concentré comme toujours, minutieux, calme. Comme pour équilibrer le tout, tu as ensuite été pris d’une de ces envies de sauter! Le signe qu’il était temps de sortir jouer dehors.

En après-midi, ta chambre était à nouveau ce sanctuaire de calme, pour le repos. Pendant longtemps, tu peux te lire à toi-même tes histoires préférées. Et les blocs ne sont jamais loin.

16 avril

Tu sais que nous ne pourrons jamais avoir de chat. 

Ni de chien. Ni de quelconque bibitte à poils, à cause de allergies de ton père. Ces derniers temps, les chats et les chiens attirent ton attention plus qu'à l'habitude. Tu oscilles entre l'attirance et la crainte pour les deux bêtes. Tu ne comprends pas bien où commence et où se termine la liberté de chacune.

Presque chaque jour dans la ruelle, nous croisons "grosse patte", comme je l'ai appelé : un chat tigré couleur caramel (peut-être s'appelle-t-il ainsi, pour sortir du lot?) qui a un sixième doigt à chaque main. Tu aimerais beaucoup le flatter et le prendre dans tes bras. Malheureusement, il est plutôt farouche, et s'enfuit toujours par la même craque de clôture.

Nous ne sommes pas les seuls à être encastrés dans nos habitudes ces derniers temps.

17 avril

Nous t'expliquons et te montrons beaucoup de chose, sans trop de retenue ni de filtre. Nous t'enseignons le monde à partir des morceaux qui t'intéressent ou que nous jugeons intéressants. Et toi, tu construis ta compréhension du monde qui t’entoure par ces expériences que nous mettons à ta portée.

Ce matin, avant même d'avoir mangé le petit déjeuner, tu nous en as fait la preuve avec une nouvelle construction : l'esplanade du Stade Olympique (!). À ta demande, pour t'aider, j'ai complété la scène en construisant ma version du-dit stade.

La vie est un travail d'équipe.

Le temps tombé du ciel : semaine 4 / La vie au temps du coronavirus / Photographe documentaire à Montréal

4 avril

La neige a finalement fondu sur notre côté de trottoir. Le côté ouest de la rue, à notre hauteur, passe presque toute la journée à l’ombre des triplex à ce temps-ci de l’année.

De bon matin, nous avons profité du calme de ce samedi ensoleillé pour nettoyer notre petit bout de la ville. Nous avons balayé le gravier et raclé les carrés d’arbres, question de libérer les pousses de sous la couche de vieilles feuilles aplaties.

Tu étais tantôt le roi du râteau, tantôt le roi du balai. La plupart du temps, tu nous “aidais” en dispersant les feuilles et le gravier que nous avions savamment mis en tas. Ton plus grand plaisir a été de courir avec un sac de poubelle vide, un parachute devenu avion de course.

Maintenant que le trottoir est nettoyé, celui-ci peut enfin devenir un grand tableau.

(le message d’encouragement rigolo est une gracieuseté de nos charmantes voisines)

5 avril

Très tôt ce matin, ton père a été pris d’une frénésie de ménage. Après avoir travaillé un peu (en fin de contrat, les travailleuses autonomes mères au foyer bossent quand elles peuvent!), je t’ai aidé à construire un super circuit dans le salon, puisque nous avons été évincés de ta chambre qui se faisait balayeuser. Du coup, c’était notre façon à nous de nous rapproprier ce bureau de fortune de ton père.

On est restés en pyjama longtemps. C’est en après-midi qu’on est enfin sortis. Il faisait gris, et il m’a semblé que la ville n’avait jamais été aussi tranquille. Comme toujours, on t’a habillé en homme-grenouille alors que nous les parents, on est resté en manteau mouillant, le parapluie à portée de la main. Ton enthousiasme à découvrir le quartier, ses espaces et ses trésors, était en parfait décalage avec notre fatigue d’adultes préoccupés par notre époque.

6 avril

Lundi.

Nouvelle semaine, vieilles nouvelles habitudes : le stationnement de l'église Saint-Jean-Baptiste-de-Lasalle a sur toi un pouvoir d'attraction surprenant, renouvelable. Quand tu y es, tu prétends être une auto de course, et tu fais les virages les plus sportifs qu'il est possible d'imaginer avec une trottinette à trois roues en bois. Tu as le pied léger, tu sautes, tu voles. Tu n'as peur de rien, tu t'essouffles, et du repars. J'aime te regarder, mais je suis fatiguée.

En arrivant à la maison, nous avions du courrier. Tu as pu voir de quoi a l'air le coronavirus, un mot que tu ne connaissais pas encore, puisqu'on l'appelle simplement “le virus” - ou "le vérus", comme tu dis.

En après-midi, pendant le repos, tu ne voulais pas être seul. À distance, tu m’as fais une déclaration d'amour éternel, et l’a terminée en me proposant le plus beau des projets :

"Après le vérus, on pourrait aller au bout du monde, si tu veux? "

Oui, mon coeur.

7 avril

Parfois, la courbe de nos humeurs n’est pas aplatie autant qu’on le voudrait, et elle malmène nos journées. Même s’il faisait extrêmement beau aujourd’hui et que j’avais envie de découvrir avec toi les nouvelles possibilités des terrains de jeu (improvisés) avoisinants, je me sentais triste.

Triste au fond, à réaliser que malgré nos sorties dehors et les séances de dessins sur le balcon au son des amis qui jouent dans la ruelle, et malgré les appels vidéos (surtout à cause d’eux en fait) : on est loin des autres.

Au moins, il y a toi qui me fait rire, en plus de faire les bisous les plus doux de l’histoire de l’humanité confinée.

*

Pour les souvenirs, des mots d’aujourd’hui :

“ J’ai sauté sur mon ombre! ”

“ Mes oreilles, c’est comme des tortellinis. ”

8 avril

Au réveil, ton père a réquisitionné ton drap de lit pour une bonne cause : souhaiter bonne fête à Elliot-le-voisin-d-en-arrière - et émouvoir ses parents confinés au passage.

Notre période de dessin/peinture quotidienne a dégénéré en séance de maquillage. Tes cousines te manquent, mais tu rigoles beaucoup avec elles même si elles sont loin.

Lors de nos sorties quotidiennes, de plus en plus, j'ai envie d'abstraction photographique. Ça me rappelle mes obsessions de documentation de l'urbain d'autrefois. Avant le confinement, j'avais presque oublié ce que c'était, parcourir la ville avec une caméra. J'aime encore plus quand c'est avec elle et toi.

9 avril

L'hiver ne partira donc jamais!

Il fait froid et gris. Quelque chose nous tombe du ciel aujourd'hui - et ce n'est pas de la pluie.

Heureusement, tes crayons et tes legos ajoutent de la couleur dans nos vies.

10 avril

C'est Vendredi Saint. Quand j'étais enfant, on ne mangeait pas de viande, le Vendredi Saint. Ma mère concoctait souvent sa sauce aux oeufs (ou parfois au maïs), servie avec le fameux pain du partage vendu par le club Optimiste (à moins que ce ne soit le club Lion?).

Pour nous, c'est un simple vendredi férié. Ton père est en congé et pour moi, travailleuse autonome, c'est jour de boulot. Je reprends le travail que je n'ai pas le temps de réaliser en semaine puisque je m'occupe de toi - question de livrer les derniers contrats de photos réalisées avant que ne débute ce confinement.

Pendant ce temps, tu trottines et escalades des buttes de gazon loin de ma caméra.

Le temps tombé du ciel : semaine 3 / La vie au temps du coronavirus / Photographe documentaire à Montréal

28 mars

Samedi, jour de provisions.

C’est S. qui est en charge de la tournée de l’épicerie. Seul lui est assez fort pour porter sur ses épaules le nécessaire à tenir pour les sept prochains jours - moi, j’utilise normalement la poussette pour transporter les grosses épiceries avec toi, ou divise le tout en plusieurs sorties : exactement ce que nous voulons éviter dans les circonstances actuelles.

Tu demandes à sortir en trottinette. Tu veux passer par la piste cyclable de la rue Desjardins. En haut, tu demandes à aller sur l’Esplanade du Stade.

C’est le jour de la marmotte.

En haut, finalement, c’est un peu différent. On prend le temps de regarder les employés de Bixi sortir les stations, morceaux par morceaux, du stationnement intérieur où elles ont passé l’hiver. Nous sommes fascinés par ces deux petits chariots élévateurs qui semblent sortir du minerai précieux des entrailles de la terre.

Plus loin, nous découvrons le skatepark. Les avertissements “Danger de chute” me permettent de t’expliquer tant bien que mal la fonction de pareille installation un peu abstraite hors contexte.

Tu veux faire le tour du grand édifice blanc “en bas”. Nous sommes alors à même d’admirer son architecture, ses contours, sa masse, ses détails. Tu es bien d’accord que tout près, on se sent tout petit. Les gouttières géantes t’impressionnent. Les avertissements de baignade interdite te subjuguent.

Ce matin, finalement, nous en avons vraiment eu plein les yeux.

29 mars

Les prévision météo annonçaient de la grosse pluie aujourd’hui. On s’est motivés à sortir tôt pour aller jouer dehors en famille avant que les averses nous tombent dessus - et nous confinent réellement à l’intérieur. Comme de fait, aussitôt que tu as enfilé ton imperméable et qu’on t’a sorti sur le balcon, les gouttes se sont pointées.

On est sortis quand même, avec nos parapluies - et sans ma caméra, ça fait du bien parfois.

Quelque chose en moi trouvait qu’il faisait belge.

On a marché dans la bouette et on s’est lancé le ballon au parc Lalancette.

Ton rire se foutait du temps et du confinement.

On était bien.

30 mars

Tu veux monter en haut de la côte. Je pose ta trottinette sur mon épaule et nous admirons les nouveaux arcs-en-ciel en chemin. Il se met à pleuvoir, mais j’ai le parapluie pour me protéger pendant que tu profites de la vie.

Pardon, pendant qu’on profite de la vie.

31 mars

La neige est presque toute fondue dans la ruelle et aujourd’hui, la trottinette est restée dans la maison.

Nous avons sorti les craies et dessiné un fond marin rigolo : un poisson-clown (avec le nez rouge pis toute), un calmar, une citation de Passe-Montagne (“Babette la baleine fait de bien belles bulles”), une étoile de mer, un poisson-clou (cousin du clown, mais en presque moins drôle), des anémones échevelées et un cygne portant un chapeau haut-le-forme.

Sur ton dessin comme dans la ruelle, le soleil brillait.

Par ce bel après-midi, grand-maman Marie-Paule est partie dans le ciel.

Penses-tu que nous aussi, on va vivre jusqu’à 101 ans?

1er avril

On a eu de la visite aujourd’hui!

Et ce n’est pas un poisson d’avril.

Pour contrer la force d’attraction qui pourrait nous faire échouer au test du 2 mètres, nous sommes sagement restés sur notre balcon du 2e étage, pour jaser avec les amis restés sur le trottoir. Nous les avons même regardés jouer - et encouragés dans leurs efforts. Quelle situation atypique, qu’il nous fera plaisir de raconter quand les garçons seront grands. Un bonheur confiné partagé.

Puis, question d’éviter de croiser les amis dans la rue (!), nous avons commencé notre propre balade en sortant par derrière, dans la ruelle. Ton nouveau ballon t’apporte tellement de joie! Tu t’es exercé à le lancer, le botter, le faire rouler. Nous avons découvert que notre ruelle pentue est en fait composée de plusieurs paliers. Il y a même un tronçon où le ballon est remonté à reculons! On se serait presque crus à la côte magnétique!

Ensuite, comme souvent depuis le début du confinement, nous sommes allés à “ton” parc. La plaine de jeu est un vaste espace où nous sommes certains de rester loin des autres naturellement, sans éveiller en nous de sentiment de suspicion. Nous y observons les éléments du décor changer d’une fois à l’autre.

Aujourd’hui, nous y sommes tombés sur un témoignage bien de notre temps. En face du CHSLD Nicolet, sur un rideau rouge fixé à ce qu’il reste de la bande de la glace de hockey, était peint en grandes lettres un message bouleversant, d’un grand enfant à sa maman et à ses “anges”.

Je t’ai expliqué, puis nous l’avons admiré battre au grand vent - et moi j’avais le coeur battant.

2 avril

Les jours où il pleut, on n’est pas pressés de sortir. On reste longtemps en pyjama dans la maison, comme si c’était la fin de semaine.

À vrai dire, les jours de pluie, on ne sait plus quel jour on est.

Ces jours-ci, tu es obsédé par les trains : tu sors régulièrement ton circuit en bois, et tu demandes à regarder des vidéos de trains (tu aimes principalement ceux où on voit les trains les plus rapides au monde, ou des circuits de train électrique montés par des geek qui diffusent leurs exploits).

Malgré la pluie, nous sommes sortis faire un petit tour près de la maison. Nous avons mangé notre collation sur le parvis de l’église Saint-Jean-Baptiste-de-Lasalle, puis avons exploré les environs.

La journée paraissait longue, et tu voulais bouger. Je t’ai parlé de ce jeu de corridor tout simple et si amusant auquel je jouais avec ma soeur dans le bungalow de notre enfance : faire rouler une balle d’une personne à l’autre, en bloquant le passage avec nos jambes. La balle rebondissante que nous avons redécouverte dans un fond de tiroir était parfaite pour ce jeu, puisqu’elle roulait vite et respectait la trajectoire qu’on lui donnait. Attention à ne pas la faire rebondir, pour ne pas déranger les voisins! Un franc succès.

Nous avons fini l’après-midi, à peinturer par terre en-dessous de la table.

3 avril

- "Mes doigts sont dehors!"

- "Qu'est-ce que tu aimes quand on ouvre la fenêtre comme ça?"

- "J'aime ça voir dehors, entendre des bruits, puis sentir, avec mon odorat."

Le temps tombé du ciel : semaine 2 / La vie au temps du coronavirus / Photographe documentaire à Montréal

(comme ce confinement durera apparemment bien longtemps, je compilerai désormais une série de publications à chaque semaine)

21 mars

C’est samedi, il fait un temps radieux - bien qu’il fasse froid un froid mordant. Nous sortons pour la balade quotidienne à trottinette. Nous décidons d’aller te faire (re)découvrir le stationnement du Collège de Maisonneuve et se faire plaisir avec sa vue jusqu’au pont Jacques-Cartier. C’est aussi un prétexte pour aller regarder par la fenêtre de ton local de garderie, à laquelle on a facilement accès. Cette mise en abîme de nos monde est bien étrange.

Comme le temps est devenu très lent ces derniers jours, nous pouvons profiter de (presque) toutes les curiosités que nous croisons sur notre route. En haut de la côte, le long de la rue Sherbrooke, de grande flaques d’eau on gelé durant la nuit. La surface glacée est tantôt solide et opaque, tantôt fine et transparente, comme du verre. Nous nous amusons à fissurer, arracher et casser des morceaux (des milliers!) pendant une demi-heure.

En après-midi, tu ne veux pas dormir. Comme j’ai anticipé la fermeture des salons de coiffure et acheté des ciseaux pour raccourcir quelques mèches à la maison, tu me demandes de te couper les cheveux. Je ne suis pas coiffeuse, et tu n’es pas patient.

J’ai commencé par dégarnir ta nuque (que je n’avais littéralement pas vu depuis des mois). Puis, j’ai enchaîné avec un tentatif dégradé, en couches. Oh là là, qu’est-ce que j’ai fait… J’ai coupé si court, qu’il ne reste plus de trace de tes belles boucles blondes, mon petit lion!

Mais tu es si beau.

22 mars

Aujourd’hui, c’est l’anniversaire de ma mère. “Grand-Maman Ginette”, comme tu l’appelles.

Elle aurait eu 66 ans.

Comme souvent à cette date (toujours depuis que tu es né), j’ai facilement les yeux dans l’eau.

L’an dernier, nous avons commencé une petite tradition afin de souligner sa mémoire, la faire revivre un peu - nous qui manquions jusque là de rituels pour bien vivre cette absence : te célébrer avec gâteau et bougie.

Cette année, S. a même lancé l’idée de réaliser une photo de famille maison, pour Grand-Maman Ginette.

Tu étais intéressé par l’équipement de studio que nous avons installé ensemble dans ta chambre, mais tu n’avais vraiment pas envie de te faire prendre en photo…

M’aider à faire le gâteau, c’était plus dans tes cordes.

Bonne fête Maman! Tu nous manques.

23 mars

Avec ce confinement, et la météo peu clémente des derniers jours, on ne sait plus trop si c’est le printemps ou l’hiver. Le ciel très gris est bas, il vente et il fait froid. Notre balade matinale est moins agréable qu’à l’habitude.

Les modules de jeux de ton parc sont condamnés. J’ai les bleues, mais tu t’amuses franchement sur ta trottinette. Tes joues n’ont pas été aussi rouges depuis longtemps. Mes yeux fixent les silhouettes, les textures et les détails que nous croisons en chemin.

À la maison, Papa prend une pause pour concocter avec nous de nouveaux arcs-en-ciel à coller dans les fenêtres. Tu lui fais remarquer qu’il n’a pas mis les couleurs dans le bon ordre! Craignant qu’il ne gâche son oeuvre, tu lui expliques aussi comment bien couper le blanc autour. Ce sont maintenant quatre arcs-en-ciels qui crient #cavabienaller du 2e étage de notre triplex.

Comme il n’est jamais trop tôt pour une initiation à la citoyenneté exemplaire, et que le travail suit ton père même durant nos repas, tu regardes un extrait du conseil municipal à table.

Le soir quand tu dors enfin, c’est toute la ville qui semble endormie aussi, sous sa lourde couverture blanche.

24 mars

Au réveil, tu as tout de suite demandé d’aller faire un bonhomme de neige.

Va savoir pourquoi (en fait je sais très bien pourquoi : tu as trois ans!), quand est venu le temps d’enlever ton pyjama, tu as refusé de t’habiller. À vrai dire, tu as accepté l’idée de Papa : t’habiller pour aller jouer dans l’eau!

Comme la neige fondait à vu d’oeil, j’ai réussi à te convaincre de sortir sans trop attendre. Ensemble, nous avons façonné “Cannelle 2”, comme tu l’as baptisée. Tu lui a délicatement mis des roches dans le front et des boules de neige en guise de cheveux. Le temps était tranquille et il faisait chaud dans nos mitaines.

De retour à la maison, tu as adorablement joué du carillon “pour encourager Papa” - et je crois que ça a fonctionné.

L’appel du soleil étant si fort, nous avons dessiné sur le balcon, avant de retourner marcher à la recherche des nouveaux arcs-en-ciels du coin. Nous nous sommes retrouvés à nous balader dans le no-man’s land de stationnement d’à côté, et tu a adopté une branche.

Et moi, j’ai admiré la beauté de ta vie.

25 mars

Matin sans trop d’histoire. Nous mettons le cap sur le nord, passant par une rue voisine que nous n’empruntons jamais. À la vue du Stade, tu décides : “Je veux aller là!”. Là, ça veut dire l’esplanade, ce vaste paysage bétonné parfait pour trottiner. Nous y observons les employés de Bixi sortir les stations de leur cachette sous-terraine et sourions aux coureurs.

Nous passons près de chez une amie et nous parlons de part et d’autre de la clôture pendant 15 minutes. Comme ça fait du bien!

Au retour, la fresque de l’église Saint-Jean-Baptiste-de-Lasalle nous rappelle les temps anciens où les humains pouvaient se rassembler.

26 mars

Le banal de nos vies de confinement est moche et beau.

Aujourd’hui, j’ai voulu me souvenir de ce que c’est de regarder la ville avec toi, en te montrant tous les détails qui attirent mon attention alors que tu es affairé à manger ta collation dans la poussette. Nous avons (encore) compté les arcs-en-ciel jusqu’à l’écoeurement : 41. Je t’avais dit qu’on allait voir des trains, mais nous avons dû nous contenter d’apercevoir quelques bouts de rails et de très gros camions chez Lallemand. Ça en valait quand même la peine, de marcher jusqu’au fin fond du quartier.

À la maison, le rythme était lent. Papa s’est reposé à tes côtés pendant que tu jouais tranquillement avec tes blocs.

Puis, la voisine est venue nous porter un beau cadeau : un immense paquet de fleurs magnifiques récupérées chez un fleuriste qui devait se débarrasser de tout son inventaire après avoir dû fermer son commerce. Comme on n’a pas l’habitude d’acheter des fleurs, j’ai accepté puis saisi les tiges du bout des doigts. Tu m’as aidé à laver notre bouquet à l’eau savonneuse dans le bain. C’était notre manière d’honorer cette beauté importée du bout du monde.

27 mars

Ce matin, j'ai rendu visite à des amis dans le quartier avec ma caméra.

Dans les règles de l'art de la distanciation sociale, je suis restée à distance règlementaire - puisque j'ai sorti mon zoom de photo événementielle pour l'occasion!

*

N. est justement venu me rejoindre chez sa grande amie A., qu’il n’avait pas vue depuis des semaines et que j’étais en train de photographier.

Durant le “repos”, il ne pouvait s’empêcher de venir voir ce que je faisais dans le bureau (retoucher les photos de gens qu’il connaît!).

À la maison, nous avons rempli un bac d’eau pour nettoyer quelques jouets et expérimenter avec quelques pailles d’une boîte que nous avons depuis des années et qu’il faudra bien finir un jour. N. appelle ça une mission!


Le temps tombé du ciel : semaine 1 / La vie au temps du coronavirus / Photographe documentaire à Montréal

Je suis plutôt tranquille depuis le début de cette tempête COVID-19.

À la maison, nous vivons depuis le 13 mars un confinement strict mais optimiste, généreux. 

Je profite de tout ce temps "tombé du ciel" avec mon fils, bien que j'aie du mal à faire avancer les projets qu'il me reste à livrer puisque je passe presque chaque minute de la journée avec lui. Ces moments en sa compagnie me gardent loin du vertige de tous ces contrats incertains ou carrément perdus pour les mois à venir. 

Nos repères changent et plus que jamais, je crois que la photo s'impose pour garder des souvenirs du vécu, de ce qui nous unit, de ce chapitre de nos vies. J'ai si hâte de documenter les vôtres à nouveau!

Dans les jours à venir, je partagerai ici des fragments de notre confinement, pour faire rayonner la beauté de cette fin d'hiver.

#restezchezvous #covid19 #confinement #staythefuckhome

Pour N.

13 mars

Nous ne le savons pas encore, mais la garderie va fermer ses portes dans quelques heures. Et nos vies vont beaucoup changer soudainement.

Pour combien de temps?

Personne ne pourra le dire avant longtemps

14 mars

Aujourd’hui, tu tousses beaucoup. Tu fais un peu de fièvre, et ton souffle est court. Nous sommes maintenant en quarantaine avec toi.

En après-midi, j’ai besoin de temps pour moi, troublée par les nouvelles et l’air du temps, anxieuse.

Je plonge dans un livre de portraits de Henri Cartier-Bresson pour me changer les idées. Tu viens me rejoindre.

Nous regardons avec intérêt les visages de philosophes et d’auteurs, des ateliers d’artistes, des portraits d’amis, d’autres anonymes… Puis nous tombons sur ce portrait de Carson McCullers, datant de 1946. Je me dirige vers la bibliothèque et sors un roman d’elle (The Heart is a Lonely Hunter), pour te montrer ces mots écrits il y a 70 ans maintenant, pour te dire “C’est elle!”.

Intéressé, tu délaisses mon beau livre de portraits pour feuilleter les pages, avec attention : “Je veux regarder les mots”.

15 mars

Au réveil, tu veux tout de suite jouer aux blocs Lego.

Papa et toi, en pyjama.

C’est dimanche.

16 mars

C’est lundi, premier jour de nos nouvelles vies de semaine en quarantaine. Tu vas un peu mieux, mais tu es fatigué.

Durant ton repos, tu te mets à la conception d’un petit projet de Lego - encore. Je t’invite à terminer sur la table, pour mieux travailler.

Tu es concentré, appliqué. Tes petits doigts sont devenus si agiles!

Je ne t’ai presque pas aidé :)

17 mars

Aujourd’hui, nous avons eu de la visite : un épervier brun est venu se poser sur un fil derrière chez nous.

Nous avons pu l’observer pendant une bonne demi-heure!

18 mars

Tu vas franchement mieux aujourd’hui!

On sort faire une grande balade dans le quartier, qui est désert. On observe un chantier pendant 10 minutes, on regarde à travers les vitrines des magasins fermés, on admire la pousse hâtive des hostas et autres tulipes enthousiastes. On marche sur la Lune derrière le marché Maisonneuve.

À la maison, tu es colleux et veux toujours me dire “Je t’aime”.

Pour faire changement, on soupe dans le salon. Et c’est toi qui mets la table.

19 mars

Nous vivons une renaissance aujourd’hui : nous avons sorti la trottinette!!!

Ça ne se perd pas, comme le vélo. Tu t’élances, encore plus rapide et solide que l’automne dernier. Si tu ne portais pas de tuque, tu aurais les cheveux au vent.

Je cours pour te suivre. Tout ce mouvement nous fait du bien à tous les deux.

Pour dîner, on mange une bonne soupe - que tu fais refroidir avec une glace, un classique. Juste avant de se mettre à table, je t’ai marqué de mon amour de maman avec ce qui me restait du rouge-à lèvre mis ce matin avec toi (le tien es déjà parti, tu l’as tout liché).

Lors de notre deuxième sortie quotidienne, nous constatons que la distanciation sociale ne date pas d’hier! Nous admirons les premiers arcs-en-ciel qui ont fait leur apparition dans le quartier.

#cavabienaller

20 mars

Ce matin, il pleut et il fait gris, très gris. Tellement gris qu’il faut allumer la lumière de la cuisine.

Je ne sais pas si c’est le temps ou la fatigue (je me couche tard puisque je travaille jusqu’au début de la nuit), mais la réalité me happe soudainement : tu ne joueras pas avec un autre enfant avant très longtemps! Ressentiras-tu l’ennui? Le manque? Les rigolades, le chamaillage, les cachettes, les élans d’affection démesurés seront autant de sensations à redécouvrir quand nous serons “libres”.

Je pense à mes amis et à ma famille que nous ne verrons pas de sitôt, et j’ai le coeur gros.

On dirait que tu sens mon besoin de me changer les idées. Tu sors une vieille pomme du frigo et demande à faire de la compote : quelle bonne idée! Tu m’aides à couper les morceaux avec ton couteau en bois. En quelques minutes, c’est cuit broyé et dégusté.

Ensuite, nous nous affairons à préparer NOTRE arc-en-ciel. Je trace la première ligne pour te montrer la forme. Nous choisissons les couleur ensemble et tu jette un coup d’oeil à un exemple sur un livre pour continuer à ta manière.

Tu es si fier de mettre ton oeuvre dans la fenêtre! Vu de l’intérieur, on voit le dessin que tu avais déjà fait au verso : “Un bonhomme sourire avec plein de yeux et plein de bouches”.

#cavabienaller